Quoi de mieux pour définir Les Paravents de Jean Genet qu’un mot de l’auteur lui-même : « Je crois que la tragédie peut être décrite comme ceci : un rire énorme que brise un sanglot qui renvoie au rire originel, c’est-à-dire à la pensée de la mort. » Il y a, en effet, chez Genet une volonté de créer une pièce où le rire et la mort seraient le recto et le verso d’une même feuille de papier. La pièce a beaucoup gêné. Subversive, elle malmène les Européens autant que les Indigènes. Il n’y a, à proprement parler, aucune orientation politique dans Les Paravents. La guerre d’Algérie au sein de laquelle elle s’inscrit ne saurait être le point central de la pièce. En réalité, la pièce fonctionne sous forme de tableaux, qui, symboliquement, montrent les principaux moteurs de l’action dramaturgique.
Les lieux, variés, excentriques se trouvent représentés grâce et sur les paravents : un bordel, l’étage des Morts, le monde des vivants, la prison, etc. A mesure que la pièce avance, que les personnages meurent, c’est tout l’espace qui se retrouve scindé entre l’étage de la vie et l’étage de la mort. A cette opposition s’ajoute un duo plutôt surprenant : celui du bordel et de la guerre. A plusieurs reprises, Malika et Warda, les deux femmes du bordel, rappellent aux soldats que faire la guerre c’est faire l’amour. On y trouve la même violence et le même désir.
Ce qui frappe surtout dans cette pièce c’est l’excentricité, l’aspect grandiloquent du jeu. Tout semble exagéré pour montrer l’immense chaos dans lequel règnent les personnages qu’ils soient Européens ou Indigènes. Théâtre sur le jeu et sur l’illusion, la pièce de Genet, à l’aide de ses paravents, déploient des potentialités spatiales inédites. Le maquillage excessif des personnages ainsi que leurs mimiques font d’eux des acteurs conscients de jouer et de n’être finalement qu’aux prises avec un jeu où les défis se multiplient.
Pour Saïd, un des personnages principaux, le but est bel et bien d’échapper à la misère de son pays. Désigné comme traître parce qu’il souhaite partir en France, Saïd finit par pousser le mal au plus loin. Il devient voleur et est suivi par sa femme, Leïla, désignée comme la plus laide d’entre les femmes. Théâtre de la décadence, de la pourriture (et les références corporelles, animales et scatologiques ne manquent pas) la pièce de Genet ne peut s’empêcher de rire de la décadence et de la maquiller dans des habits baroques. Et face à cette tragédie, Genet s’inscrit dans la droite lignée de Rabelais en écrivant : « Dans cette pièce – mais je ne le renie pas, oh non- j’aurais beaucoup déconné. »
Quelques citations
»Taleb : C’est toi qui le défends ! S’il a volé le pognon dans ma veste rouge posée sous le figuier, c’était pour payer la traversée, aller marner – si tu veux bosser – en France, économiser et s’acheter une autre femme.
Leïla : C’est ce qu’il dit. Mais au lieu de me quitter, il s’est laissé prendre, tabasser, enfermer en prison au-dessus de chez nous. »
« Kadidja (d’une voix sévère) : Je suis morte ? C’est vrai? Eh bien, pas encore ! Je n’ai pas terminé mon travail, alors, à nous deux, la Mort ! Saïd, Leïla, mes bien-aimés ! Vous aussi le soir vous vous racontiez le mal de la journée. Vous aviez compris qu’il n’y avait plus d’espoir qu’en lui. Mal, merveilleux mal, toi qui nous restes quand tout a foutu le camp, mal miraculeux tu vas nous aider. Je t’en prie, et je t’en prie debout, mal, viens féconder notre peuple. Et qu’il ne chôme pas ! »
« Leïla : Je suis fatiguée par la marche, le soleil, la poussière. Je ne sens plus mes jambes : elles sont devenues la route elle-même. A cause du soleil, le ciel est en zinc, la terre en zinc. La poussière de la route, c’est la tristesse de ma gueule qui retombe sur mes pieds. Où nous allons, Saïd, où nous allons ?
Saïd (se retournant et la regardant bien dans les yeux) : Où je vais ? »
Bio rapide et liens
Jean Genet, né en 1910 et décédé en 1986, est un écrivain aux œuvres variées, provocatrices et subversives.
Étonnant par son acte poétique même lorsqu’il s’agit des actes les plus immoraux, le théâtre de Genet étonne autant qu’il fascine.