Résumer et analyser en quelques lignes un si vaste roman relève de la gageure. Là n’est pas notre but. Il s’agit plutôt de mettre en valeur l’expérience de lecture que nous propose cette œuvre-monde et de relever les thèmes majeurs permettant de saisir l’intense richesse d’une œuvre jugée, parfois trop rapidement, illisible. Car, bien sûr, Joyce se plaît à nous embrouiller, à nous rendre la lecture à la fois très fluide et à la fois très étrange. Les mystères s’accumulent, les points de vue se multiplient. Ce roman majeur du XXe siècle se veut complexe et intense. Joyce a ainsi voulu dessiner les parcours physiques et spirituels de Leopold Bloom et Stephen Dedalus à l’intérieur de Dublin. La journée qui s’écoule est ordinaire mais on perçoit que les heures qui s’écoulent sont comme les différentes étapes d’une vie. Cette journée du 16 juin 1904 devient symboliquement la journée dans laquelle se condensent deux existences. Ce qui surprend alors dans l’ensemble de l’œuvre est la virtuosité stylistique avec laquelle Joyce compose (et avec quelle rigueur!) son roman. Les chapitres se suivent et ne se ressemblent pas.
La volonté qu’a Joyce de faire un livre-monde se retrouve aussi dans l’attribution d’un organe, d’une couleur à chaque chapitre et surtout d’un titre en lien avec l’Odyssée d’Homère dont Joyce s’inspire. Les siècles ont passé et l’Ulysse moderne ne saurait correspondre au héros de l’antiquité. Le lecteur connaisseur de l’Odyssée oscille donc entre compréhension des références et surprise. La découverte de parcours parallèles et l’entrecroisement des destins des deux personnages principaux, Bloom et Dedalus, nous font voir que Joyce aborde ici des personnages aux sensibilités différentes et complexes. Bloom est une représentation du juif errant et sait que sa femme, sa Pénélope, Molly, va le rendre cocu. Ce drame est davantage exploré grâce au monologue intérieur, technique qui permet de plonger au plus profond de la subjectivité du personnage.
Quant à Dedalus, il est lui aussi un errant, ayant quitté son logement. Fils sans mère et artiste aux idées élevées, il se cherche autant qu’il cherche un mentor, qu’il trouvera dans une certaine mesure dans le personnage de Bloom. Enfin, c’est au dernier chapitre que Molly prend la parole, dans un monologue non ponctué épousant davantage le libre cours des pensées. Vu de la sorte, Ulysse semble une œuvre du déclin, c’est vrai. Mais il ne faut pas oublier que Joyce a voulu faire rire son lecteur, en parodiant les styles ainsi que l’épopée et les derniers mots de l’œuvre sont un appel à la vie, à un monde de l’affirmation plutôt que de la négation. Ulysse est un objet de jouissance pour tout lecteur se laissant porter sur les différentes voies qu’empruntent ses hommes modernes, ses non-héros.
Quelques citations
« L’histoire, dit Stephen, est un cauchemar dont j’essaie de me réveiller. »
« Une heure c’est ce qu’il te reste à vivre, la dernière. Toc. Toc. Frémissement à présent. C’est de la pitié qu’ils ressentent. Pour essuyer une larme pour les martyrs qui veulent mourir, mourir de, mourir. En train de crever de tout cela, né pour tout cela. »
« Et d’abord je l’ai entouré de mes bras oui et je l’ai attiré tout contre moi comme ça il pouvait sentir tout mes seins mon odeur oui et son cœur battait comme un fou et oui j’ai dit oui je veux Oui. »
Bio rapide et liens
Grand auteur irlandais du XXe siècle, né en 1882 et mort en 1941, Joyce surprend autant qu’il expérimente. Son œuvre majeure est Ulysse.
Aussi bien poète, que dramaturge ou nouvelliste, Joyce est un virtuose révolutionnaire qui manie avec aisance et perfection les différents styles et les différents genres littéraires.