Si je vous dis que Belle du Seigneur est un roman d’amours, vous allez me rire au nez. Mais regardez bien, approchez-vous, regardez bien, j’ai écrit « amourS » et non « amour ». Car c’est bien le roman de tous les amours, amour-passion, amour-jeunesse, coup de foudre, amour-ennui et enfin, surtout, amour-destructeur, car amour-jalousie… Il y a bien sûr Solal, seigneur à tous points de vue ; Ariane, enfante belle comme le jour ; Adrien Deume, son mari, ridicule et assoiffé de pouvoir social. Il y a bien sûr leur ridicule, leurs parades de paons ou d’ambassadeur. Belle du Seigneur, c’est aussi la puissance du social, le poids des gens et de leur caste. C’est de cela que meurent les deux amants.
Et s’il faut parler de la plume d’Albert Cohen, je dirais que je voudrais être Albert Cohen, ou rien. Bien sûr, il a pondu un roman de 1100 pages qui m’a souvent torturé, que j’ai fini grâce à une nuit d’insomnie, mais quel talent. Il épouse tour à tour l’oralité de Mariette, les enfantillages et le fard d’Ariane, le calme et la force de Solal. A mettre ainsi côte à côte des personnages si différents (femme de chambre, beauté pure, séducteur, ridicule petit scribouillard…), Cohen arrive à tourner en dérision chacun de ces mondes.
Car chacun a tort. Tout n’est que maquillage, apparence, simplicité puis mort certaine. L’amour est ainsi fait : séduction, exil, bonheur, puis mort. Il est important, à la lecture de ce roman, de se souvenir que Cohen n’écrivait pas ; il dictait. L’oralité s’en ressent plus fortement, et son caractère authentique également. Si Belle du Seigneur est le roman de l’amour, c’est aussi le roman des relations sociales, de leur contact, et donc, de leur dialogue.
Quelques citations
« – Mais enfin, interrompit Salomon, puisqu’elle est l’épouse d’un homme, comment accepte t-elle d’aller en ce lieu des sorbets danser avec un autre homme ?
– Ainsi sont les Européennes, dit Michaël. Ah, mes amis, si tous les cornus d’Europe portaient lampions, ô miséricorde, quelle illumination ! »
« Jeunes gens, vous aux crinières échevelées et aux dents parfaites, divertissez-vous sur la rive où toujours l’on s’aime à jamais, où jamais l’on ne s’aime toujours, rive où les amants rient et sont immortels, élus sur un enthousiaste quadrige, enivrez-vous pendant qu’il est temps et soyez heureux comme furent Ariane et son Solal, mais ayez pitié des vieux, des vieux que vous serez bientôt, goutte au nez et mains tremblantes, mains aux grosses veines durcies, mains tâchées de roux, triste rousseur des feuilles mortes. »
Bio rapide et liens
Né en 1896, Cohen trouve le succès grâce au roman Solal dont il composera une série.
De Belle du Seigneur au Livre de ma mère, il a connu de nombreux succès littéraires, étant souvent salué par la critique.