Romain Gary, avec ce roman, attaque de front la thématique centrale de la virilité masculine dans nos sociétés où l’homme semble avoir, sur ses épaules, le poids d’une image de lui où vigueur et solidité sont nécessairement présentes jusqu’au bout. Jacques, le personnage principal du roman, va bientôt avoir soixante ans et la vieillesse l’effraie. Amoureux de Laura, une jeune brésilienne de vingt ans, Jacques sent que ses angoisses vont nuire à cette deuxième jeunesse que lui fait vivre la jeune femme. Les nombreuses péripéties du couple illustrent à quel point Jacques craint le déclin tant physique qu’économique, puisque Jacques est en passe de revendre son entreprise qui se porte de plus en plus mal. Le titre, appliqué au personnage, nous montre alors que le corps âgé, comme un fardeau, rappelle aux désirs élancés que la fougue n’a plus lieu d’être. Proposant une solide réflexion sur la « puissance » masculine, Gary nous fait prendre conscience que vouloir à tout prix s’en sortir la tête haute est on ne peut plus complexe lorsque tout un monde s’effondre autour de vous.
Il y a chez Gary un humour et une ironie qui rendent la lecture vraiment agréable. Au cynisme des uns répondent les moqueries des autres et l’humour reste, malgré la cruauté du déclin, une échappatoire pour Jacques. Le style de Gary nous permet de rire de ce qui blesse l’homme et c’est dans cette oscillation entre l’auto-dérision et la souffrance que se joue l’essentiel du roman. Ainsi Jim Dooley, une connaissance de Jacques, souhaitait-il faire redresser la Tour de Pise : l’exemple montre parfaitement l’esprit cocasse du personnage mais révèle aussi le désir de droiture, de vigueur. Si le roman de Gary me plaît, c’est aussi parce qu’il analyse minutieusement toutes les obsessions et tous les phantasmes masculins. C’est ainsi qu’apparaît le personnage de Ruiz, que Jacques se construit à partir d’un voyou qu’il a rencontré, et qui devient un nouveau moteur pour Jacques : c’est à l’aide de l’imaginaire, ce mécanisme insoupçonné, que Jacques retrouve une certaine virilité. Le roman de Gary devient, une fois le livre fermé, un tableau cru et pourtant très tendre d’une vieillesse crainte et d’une peur de décevoir. C’est la douceur féminine qui saura être la meilleure réponse.