Cette nouvelle issue du dernier recueil de nouvelles de Maupassant nous fait sentir toute l’incommunicabilité qui s’est insinuée dans le couple que forment le Comte et la Comtesse de Mascaret. En effet, la Comtesse, particulièrement exaspérée, part en promenade en votiure lorsque surgit son mari, qui monte à bord. Le règlement de compte se fait dans l’espace de la voiture et la Comtesse annonce à son mari : »Je ne serai plus jamais à vous ». Peu à peu, on découvre à quel point cette femme a été victime du « féroce égoïsme » de son mari. On voit bien ici la difficile coexistence entre les hommes et les femmes. La Comtesse dénonce alors avec virulence la stratégie qu’a adoptée son mari. Elle pense en effet que, jaloux des autres hommes proches de sa très belle femme, son mari l’a mise enceinte à sept reprises afin que personne n’y touche. On entend dans son discours à quel point la Comtesse revendique sa liberté, voulant quitter le joug de son mari qu’elle n’aime pas. Afin de ne plus subir la terrible domination de son mari, la Comtesse décide de semer un doute terrible dans l’esprit du Comte : elle lui annonce en effet que l’un des enfants n’est pas de lui et promet également de me jamais révéler duquel il s’agit. Jouissant de sa liberté enfin retrouvée, même si elle a déjà trente ans et sept enfants, la Comtesse jouit de sa beauté en sortant dans les salons les plus à la mode. Après six ans d’un long silence, elle avoue à son mari qu’elle lui a menti pour qu’il la laisse enfin libre. Cette révélation finale déroute autant qu’elle prouve l’ingéniosité de la femme.
Ce qui me plaît dans cette nouvelle est l’irréconciliable conflit entre les sexes et l’art avec lequel Maupassant le décrit. Les rapports amoureux sont bien souvent décrits en des termes militaires, Maupassant retravaillant ainsi le topos de la conquête amoureuse. Le mensonge permet ainsi à la femme de se libérer du long « supplice » que lui a infligé son mari. La hiérarchie s’inverse et la femme finit par prendre le dessus pour donner une véritable leçon à son mari qui disait avoir « la loi pour [lui]« .
L’aspect symbolique de cette nouvelle surgient particulièrement dans le troisième chapitre de la nouvelle dans lequel deux amis, voyant la Comtesse à l’Opéra, discutent à son sujet et plus généralement au sujet des femmes. La Comtesse, par son entreprise, refuse justement de n’être qu’une femelle : elle refuse le rôle que lui a donné la Nature, rôle qui fait d’elle une créature destinée à la « reproduction des êtres ». Au contraire, la femme qu’est la Comtesse veut dompter toute l’animalité que la Nature lui a attribuée pour « inventer la civilisation« . La beauté de la femme avec ce qu’elle a d’artificiel devient ainsi la revanche prise sur la Nature.
Quelques citations
« La comtesse de Mascaret se montra sur le perron juste au moment où son mari, qui rentrait, arriva sous la porte cochère. Il s’arrêta quelques secondes pour regarder sa femme, et il pâlit un peu. Elle était fort belle, svelte, distinguée avec sa longue figure ovale, son teint d’ivoire doré, ses grands yeux gris et ses cheveux noirs; et elle monta dans sa voiture sans le regarder, sans paraître même l’avoir aperçu, avec une allure si particulièrement racée, que l’infâme jalousie dont il était depuis si longtemps dévoré, le mordit au cœur de nouveau. »
« Ah ! rappelez-vous nos luttes les portes brisées, les serrures forcées ! A quelle existence vous m’avez condamnée depuis onze ans, une existence de jument poulinière enfermée dans un haras. Puis, dès que j’étais grosse, vous vous dégoûtiez aussi de moi, vous, et je ne vous voyais plus durant des mois. On m’envoyait à la campagne, dans le château de la famille, au vert, au pré, faire mon petit. Et quand je reparaissais, fraîche et belle, indestructible, toujours séduisante et toujours entourée d’hommages, espérant enfin que j’allais vivre un peu comme une jeune femme riche qui appartient au monde, la jalousie vous reprenait, et vous recommenciez à me poursuivre de l’infâme et haineux désir dont vous souffrez en ce moment, à mon côté. Et ce n’est pas le désir de me posséder – je ne me serais jamais refusée à vous – c’est le désir de me déformer. »
Bio rapide et liens
Guy de Maupassant, né en 1850 et mort en 1893, est un grand écrivain du XIXe siècle français. On l’inscrit généralement dans le courant naturaliste.
Grand auteur de nouvelles et de romans, allant parfois jusqu’au fantastique, il est surtout connu pour des œuvres comme Bel-Ami, Une vie ou Boule de suif.