Composé en 1667, Le Lutrin est une oeuvre peu lue de Boileau que l’on connaît davantage pour ses Satires ou pour son Art poétique. Or, il me semble que nous passons là à côté d’un ouvrage particulièrement drôle et savoureux. En effet, Boileau parodie le style de l’épopée tout au long de son poème. L’oeuvre se présente sous la forme de six chants (deux fois moins que les douze chants de L’Enéide de Virgile) et le choix du nombre ne me semble pas innocent. Parodiant l’épopée, il la diminue, c’est-à-dire qu’il réduit le nombre de chants, mais il réduit aussi l’importance des actions qui ont lieu.
De fait, Boileau nous présente la querelle, au sein de la Sainte-Chapelle, entre le prélat et le chantre. Si le premier a décidé de rétablir dans la chapelle le lutrin, ce pupitre pour le choeur, le chantre refuse qu’on installe cet objet de peur de n’être vu par la foule lorsqu’il aura à chanter. Ayant recours aux divinités propres à l’épopée, le poète mentionne alors l’arrivée de La Discorde, venant aviver la querelle entre les deux personnages. On le voit, deux camps se mettent en place, comme dans toutes les épopées, mais ces camps sont risibles et c’est là ce qui fait tout le comique de ce poème. Tous les ressorts de l’épopée sont réemployés et tournés en ridicule.
Le chantre, par exemple, durant la nuit, fait un songe prophétique et voit le lutrin installé dans la chapelle. Lorsqu’il se réveille, le lendemain matin, il remarque que ce lutrin vu en rêve a effectivement été mis en place. Il cherche alors à se venger en mobilisant des troupes de chanoines. Les deux camps finissent par s’affronter dans la librairie de l’éditeur Barbin, nouveau champ de bataille, et après la bataille, l’ordre se remet en place et la Piété vient réconcilier les ennemis.
On l’aura remarqué, Boileau aime rire, il crée des situations ridicules, parodiant l’épopée et jouant des décalages, nombreux dans son texte. Il fait le choix de l‘héroï-comique (en donnant une certaine noblesse à des éléments triviaux). On en trouve une illustration parfaite dans le discours de la femme du perruquier qui ne souhaite pas voir partir son mari et à qui le poète fait prononcer des phrases pareilles à celles de la Reine Didon dans l’Enéide, cherchant à retenir Enée auprès d’elle. Ces reprises qui dénotent une connaissance parfaite des modèles que sont Homère et Virgile sont une des principales sources du comique dans l’oeuvre.
En outre, Boileau n’hésite pas à avoir recours à un rire moqueur, non pas centré sur les décalages par rapport aux chefs-d’oeuvre antiques mais sur les vices des gens d’église. A plusieurs reprises, sont soulignés la gourmandise, la gloutonnerie et les excès du monde de l’église. Les considérations religieuses sont bien souvent oubliées au profit de la boisson et de la nourriture. Cette critique traditionnelle du monde de l’église (que l’on trouve dans les farces et les comédies, par exemple) ajoute un aspect comique à l’oeuvre.
Plus subtilement, on notera aussi que Boileau prend position par rapport à certaines pratiques littéraires de son temps. Lorsque la librairie Barbin devient un champ de bataille, les soldats se tirent dessus à coups de Clélie et de Grand Cyrus, des romans héroïques de Scudéry. Boileau lance donc ici une pique assez nette contre la production romanesque de son siècle, faisant des ouvrages de Madeleine de Scudéry des romans assommants, dans tous les sens du terme. L’oeuvre de Boileau joue donc sur différents décalages afin de faire rire son lecteur et de lui procurer un plaisir, cher à l’esthétique classique.
Quelques citations
»Je chante les combats, et ce prélat terrible / Qui, par ses longs travaux et sa force invincible, / Dans une illustre église exerçant son grand coeur, / Fit placer à la fin un lutrin dans le choeur. / C’est en vain que le chantre, abusant d’un faux titre, / Deux fois l’en fin ôter par les mains du chapitre : / Ce prélat, sur le banc de son rival altier / Deux fois le reportant, l’en couvrit tout entier. / Muse, redis-moi donc quelle ardeur de vengeance / De ces hommes sacrés rompit l’intelligence, / Et troubla si longtemps deux célèbres rivaux. / Tant de fiel entre-t-il dans l’âme des dévots ! »
»Muse, prête à ma bouche une voix plus sauvage, / Pour chanter le dépit, la colère, la rage, / Que le chantre sentit allumer dans son sang / A l’aspect du pupitre élevé sur son banc. / D’abord pâle et muet, de colère immobile, / A force de douleur, il demeura tranquille : / Mais sa voix s’échappant au travers des sanglots / Dans sa bouche à la fin fit passage à ces mots : / « La voilà donc, Girot, cette hydre épouvantable / Que m’a fait voir un songe, hélas !, trop véritable ! / Je le vois ce dragon tout prêt à m’égorger, / Ce pupitre fatal qui me doit ombrager ! / Prélat, que t’ai-je fait ? Quelle rage envieuse / Rend pour me tourmenter ton âme ingénieuse ? »
Bio rapide et liens
Né en 1636 et mort en 1711, Boileau apparaît comme une des grandes figures de la poésie et de la réflexion sur l’art du XVIIe siècle.
S’il est d’abord connu pour ses Satires, on retient surtout son Art poétique, ouvrage qui dénote la passion de l’auteur pour la poésie et sa volonté de rappeler les principes esthétiques de ce qu’il convient d’appeler le Classicisme.