Résumer un recueil de 72 nouvelles n’est pas chose facile et notre but n’est ici que de donner une vue d’ensemble d’une oeuvre dense et riche. Marguerite de Navarre offre à son lecteur avec L’Heptaméron un pur moment de plaisir littéraire. En effet, la Reine nous donne à lire une oeuvre plaisante dans laquelle le rire a toute sa place. Les dix devisants, qui se sont réfugiés dans une abbaye à Serrance en raison de pluies diluviennes qui les empêchent de retourner chez eux, se divertissent par le biais de contes facétieux permettant de lutter contre l’ennui. On peut aisément considérer que la moitié de l’oeuvre est destiné à égayer l’auditoire et les lecteurs. On y découvre des sots qui, se pensant plus futés que les autres, se font avoir à leur propre piège, par exemple. De telles situations existaient évidemment dans la tradition médiévale et se retrouvaient aussi dans le Décaméron de Boccace, ouvrage qui sert de point de départ au travail de Marguerite de Navarre. C’est souvent la bêtise de certains personnages que les conteurs mettent en avant afin de créer un rire de pure moquerie.
Un comique plus subtil se retrouve à l’oeuvre dans le texte. De fait, les conteurs n’hésitent pas à dissimuler quelques sous-entendus grivois dans leurs propos et, il faut l’admettre, le sexe est en réalité très présent dans l’oeuvre même s’il n’est pas toujours évoqué crument. La grivoiserie naît alors du détournement d’expressions religieuses en expressions érotiques. Les conteurs soulignent ainsi le peu de vertu du personnel religieux. Les défauts des religieux (la gourmandise, le manque de foi, l’appétit sexuel) sont en effet souvent soulignés et tournés en ridicule. Une telle critique appelle aussi un vrai retour à la vertu, et c’est un des buts de l’oeuvre qui se veut aussi, dans une certaine mesure, livre de morale. Les nouvelles sont censées servir d’exemples ou de contre-exemples.
Mais même si le rire est le propre de l’homme (et le XVIe siècle en est particulièrement conscient), l’oeuvre est également constituée de nouvelles plus tragiques, appelées à faire pleurer l’auditoire. Ce sont souvent des nouvelles dans lesquelles les personnages sont particulièrement « piteux » (cf. nouvelle 23 par exemple). Entre comique et tragique se met donc en place une variété de ton tout à fait appréciable, variété d’autant plus importante qu’elle rend ces nouvelles « véritables » puisqu’elles illustrent l’aspect changeant et varié de la vie humaine. En outre, l’oeuvre de Marguerite de Navarre s’avère particulièrement novatrice dans la mesure où, contrairement à Boccace dont elle s’inspire, elle met en place des débats à l’issue des contes narrés.
Ainsi se met en place une vraie discussion autour des thèmes abordés. Et le thème dont on débat le plus est évidemment l’amour. Le XVIe siècle, redécouvrant les conceptions platoniciennes de l’Amour grâce à Marsile Ficin, s’intéresse évidemment à la possibilité d’un amour élevé auquel vient s’opposer l’amour bestial omniprésent dans l’oeuvre. Hommes et femmes ne semblent pouvoir résister à leurs pulsions et le désir semble régner en maître. Face à cela se développe donc un discours de la moralité. Et lorsque certaines histoires paraissent des plus immorales, elles permettent souvent de tirer une leçon en termes moraux. Mais les débats montrent bien que l’ambiguïté est à l’oeuvre chez Marguerite de Navarre. La morale est bien souvent sauve mais cela dépend du point de vue adopté. L’Heptaméron acquiert ainsi la richesse des oeuvres qui sont herméneutiquement ambiguës et qui, par ce biais, échappe à une univocité trop schématique. La lecture peut ainsi devenir relecture et continuelle quête de sens grâce à la polyphonie qui domine.
Quelques citations
« Quand l’assemblée fut toute assise sur l’herbe verte, si molle et délicate qu’il ne leur fallait ni carreau ni tapis, Simontault commença à dire: « Qui sera celui de nous qui aura commandement sur les autres ? » Hircan lui répondit : « Puisque vous avez commencé la parole, c’est raison que vous commandiez, car au jeu nous sommes tous égaux. » […] Hircan […] dit à Simontault: « Commencez à dire quelque bonne chose et l’on vous écoutera. » Lequel convié de toute la compagnie se prit à dire : « Mes dames, j’ai été si mal récompensé de mes longs services, que pour me venger d’Amour, et de celle qui m’est si cruelle, je mettrai peine de faire un recueil de tous les mauvais tours, que les femmes ont fait aux pauvres hommes, et si ne dirai rien que pure vérité ». «
« J’ai bien ouï dire, dit Simontault, qu’il y a des femmes qui veulent avoir des Evangélistes, pour prêcher leur vertu et leur chasteté, et leur font la meilleure chere qu’il leur est possible et la plus privée, les assurant que si la conscience et l’honneur ne les retenaient, elles leur accorderaient leurs désirs. Et les pauvres sots, quand en compagnie ils parlent d’elles, jurent qu’ils mettraient leur doigt au feu sans brûler, pour soutenir qu’elles sont femmes de bien, car ils ont expérimenté leur amour jusques au bout. «
« Il semble à vous ouïr parler, dit Hircan, que les cordeliers doivent être anges ou plus sages que les autres. Mais vous en avez tant ouï d’exemples que vous les devez penser beaucoup pires, et si me semble que celui-ci est bien à excuser, se trouvant seul de nuit enfermé avec une belle fille. – Voire, dit Oisille, mais c’était la nuit de Noël – Et voilà qui augmente son excuse, dit Simontault, car tenant la place de Joseph auprès d’une belle vierge, il voulait essayer de faire un petit enfant pour jouer au vif le mystère de la Nativité. – Vraiment, dit Parlamente, s’il eut pensé à Joseph et à la Vierge, il n’eut pas eu volonté si méchante. Toutefois, c’était un homme plein de mauvais vouloir, vu que pour si peu d’occasion il faisait une si grande entreprise. »
Bio rapide et liens
Née en 1492 à Angoulême et morte en 1549, Marguerite de Navarre est la fille de Louise de Savoie et du prince Charles d’Orléans. Elle est la soeur du roi François Ier dont le règne marque le plus le triomphe de la Renaissance française et de l’humanisme.
Connue de nos jours pour son Heptaméron, elle s’illustre également dans l’écriture de recueils poétiques et de pièces de théâtre tant profanes que sacrées.