André est un monologue, ou plutôt une confession que le personnage d’Anne-Laure fait au lecteur-spectateur. Nous sommes dès lors placés devant les petits accidents et les hasards de la vie qui prennent des dimensions démesurément grandes. Anne-Laure, et le lecteur-spectateur le sent dès le lever du rideau, a besoin de parler. Elle se met alors à retracer l’histoire de sa relation avec André, son mari. Dans ce flot de paroles où Anne-Laure se souvient des détails qui l’ont séduite chez André, le lecteur-spectateur distingue toute la déchéance du couple après le coup de foudre. Car il y a bien eu coup de foudre, et Anne-Laure se souvient de cette fascination qu’elle a ressenti pour le corps d’André, pour son dos, pour son sourire. Mais c’est bel et bien la déception qui fait parler Anne-Laure, dont la désillusion est douloureuse. André semble en effet perdre peu à peu tous les attraits qui avaient charmé sa femme et « l’homme au dos » (comme l’appelle Anne-Laure) se change en « un visage de noyé ».
La tragédie est faite de plusieurs accidents qui ruinent le couple : André est embauché dans une entreprise de produits pharmaceutiques, et ramène Lionel, un enfant abandonné, à la maison, pendant l’absence d’Anne-Laure partie enterrer sa mère. Ce sont ces coups du sort qui renforcent le tragique du monologue, qui devient ainsi le lieu le plus adéquat pour l’expression de la douleur, mais d’une douleur tempérée. Car Anne-Laure ne joue pas aux grandes tragédiennes. Son discours, empreint de touches comiques, est très imagé, expressif et rend mieux ce long processus qui a fini par faire d’elle et d’André des étrangers.
Or, ce n’est que quand Anne-Laure parvient à la sérénité, une fois rentrée de l’enterrement de son frère, qu’elle se rend compte de la mort d’André. C’est finalement dans les champs dont elle s’occupe qu’elle trouve un refuge contre les larmes. Étrangement, et c’est pourquoi il y a malaise, on a l’impression que la sérénité retrouvée par Anne-Laure est nécessairement liée à la mort d’André. A l’aide d’un phrasé dynamique,Philippe Minyana fait d’Anne-Laure un personnage touchant, marginal par son histoire mais prise dans un élan de paroles que l’on souhaiterait ne voir jamais prendre fin.
Quelques citations
»C’était la première fois que je voyais un tel dos en tous cas un dos aussi fameux et j’ai su quand je l’ai vu que c’était une vision décisive dans mon ventre dans mes genoux dans mes oreilles il y a eu le résultat de la vision. Cette petite mollesse avant-coureur de mollesses plus grandes encore et on est d’accord avec cette mollesse on lui dit de venir on l’accepte en fait on l’attendait. »
« A la mairie et puis à l’église plus tard quand j’aurai à mon tour fait mon manège à moi de séduction et de petits blablas et de mains pressées et de langue offerte bref tout ce qu’on fait au début d’une alliance vous voyez ce que je veux dire ? Eh bien ensuite à la mairie j’ai cherché le fameux sourire en pensant au fameux dos et je n’ai rien vu même pas des miettes de sourire non rien : un visage si fermé que je me suis souvenu que j’avais eu peur dès le jour « j » du dos d’albâtre et à nouveau j’ai eu peur comme si je pressentais tout ce qui allait suivre. »
Bio rapide et liens
Dramaturge français né en 1946, Philippe Minyana fait partie des grands noms du théâtre contemporain français.
Acteur et auteur, il mène à travers son œuvre une réflexion intéressante sur le besoin de parler propre aux êtres marginaux.