Avec Au rendez-vous allemand, je découvre le poète résistant qu’était Eluard. Le recueil est nettement placé sous le signe de la résistance face à l’occupation allemande à Paris. Le poème « Courage », deuxième poème du recueil après « Avis », illustre bien cette idée. Y sont décrites toutes les souffrances endurées par la capitale sous l’occupation. Le poète insiste sur le pathétique d’un tel tableau dès le début, célèbre pour son anaphore : « Paris a froid Paris a faim / Paris ne mange plus de marrons dans la rue / Paris a mis de vieux vêtements de vieille / Paris dort tout debout sans air dans le métro ». La dénonciation des conditions de vie sous l’occupation s’accompagne d’un espoir de retrouver la grandeur passée. De façon générale, à l’échelle du recueil, l’espoir répond souvent à la plainte. « Tu vas te libérer Paris », lit-on dans « Courage », « Toujours vit l’espoir sur terre », constitue le dernier vers du poème « Enterrar y callar ». Les poèmes, bien que désespérés, essaient toujours de prédire un futur meilleur. Le poète se fait messagerd’espoir, il est celui qui allume une lumière dans le noir comme il l’écrit dans « Le poème hostile » : « Nous sommes la lumière et notre coeur rayonne ». Le recueil parvient ainsi à faire réfléchir aux différentes fonctions du poète, à son engagement à l’échelle de la société face à la menace ennemie.
Ces poèmes publiés dans la clandestinité pour la plupart sont aussi et surtout un cri de liberté. Celui-ci culmine évidemment avec le poème « Liberté », contenu dans ce recueil. A cet égard, la fin du poème montre toute la foi qu’a le poète en son art : « Et par le pouvoir d’un mot / Je recommence ma vie / Je suis né pour te connaître / Pour te nommer / Liberté. » La force du mot poétique et la capacité qu’il a, plus qu’un autre, d’éveiller les consciences sont nettement soulignées dans le recueil.
Le chant poétique est possible dès que le poète envisage son art comme une arme pour se libérer des ennemis. La liberté d’expression, enjeu majeur sous l’expression, est retrouvée en toute clandestinité pour affirmer la force d’une France capable de faire face à l’ennemi. Car perdre la liberté c’est aussi perdre la culture et les arts. Eluard le sait et il le dit fort justement dans « La dernière nuit » : « Beauté créée pour les heureux / Beauté tu cours un grand danger ». Le but du poète est alors de rendre hommage à cette beauté, de lui donner un visage afin qu’elle ne soit pas complètement dévastée par l’ennemi. A bien des égards, on peut considérer que les poèmes décrivant le sacrifice d’hommes morts sous l’occupation sont sous-tendus par la volonté constante de souligner la beauté héroïque de leur action.
Ainsi Gabriel Péri, auquel Eluard consacre un poème, apparaît-il comme l’incarnation d’un espoir, d’un amour de la justice qui le rendent aussi incarnation de la belle liberté. On peut y lire : « Péri est mort pour ce qui nous fait vivre / […] Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux ». C’est aussi un hommage aux poètes que fait Eluard dans son poème « Critique de la poésie ». Garcia Lorca, Saint-Pol Roux, et Decour apparaissent comme des victimes injustement mises à mort. Car, la peur d’Eluard est bien celle de voir mourir la poésie face à l’ennemi, mais son espoir, sa volonté et la maîtrise de son art lui permettent de devenir le chantre de la résistance.
Quelques citations
« La nuit qui précéda sa mort
Fut la plus courte de sa vie
L’idée qu’il existait encore
Lui brûlait le sang aux poignets
Le poids de son corps l’écoeurait
Sa force le faisait gémir
C’est tout au fond de cette horreur
Qu’il a commencé à sourire
Il n’avait pas UN camarade
Mais des millions et des millions
Pour le venger il le savait
Et le jour se leva pour lui. » (« Avis »)
« Toi ma patiente ma patience ma parente
Gorge haute suspendue orgue de la nuit lente
Révérence cachant tous les ciels dans sa grâce
Prépare à la vengeance un lit d’où je naîtrai. » (« Patience »)
« La nuit le froid la solitude
On m’enferma soigneusement
Mais les branches cherchaient leur voie dans la prison
Autour de moi l’herbe trouva le ciel
On verrouilla le ciel
Ma prison s’écroula
Le froid vivant le froid brûlant m’eut bien en main. » (« Du dehors »)
Bio rapide et liens
Né en 1895 et mort en 1952, Paul Eluard, de son vrai nom Eugène Grindel, fait partie des grands noms de la poésie française du XXe siècle.
D’abord très attaché aux Surréalistes, il publie son recueil le plus célèbre, Capitale de la douleur, en 1926. Engagé dans la résistance contre l’occupant allemand, le poète écrit clandestinement les poèmes qui constitueront le recueil Au rendez-vous allemand.