« Boule de Suif » est l’une des nouvelles les plus célèbres de Maupassant. Et pour cause ! Elle déploie tout l’art du nouvelliste, capable de créer une réelle attente chez son lecteur tout en privilégiant la forme brève où la condensationest de mise. A Rouen, après la défaite de 1870 face aux Prussiens, une diligence part en voyage vers Dieppe mais la neige les empêche de faire bonne route. Le voyage dure plus longtemps que prévu et les gens à bord souffrent de la faim. Élisabeth Rousset, une prostituée dont le surnom est Boule de Suif, est la seule à avoir pensé à emporter des provisions. Tout le monde décide de se ruer sur la nourriture qu’elle propose. La diligence s’arrête à Tôtes dans une auberge où est installé un Prussien. En tant que vainqueur, il refuse que la diligence reparte le lendemain si Boule de Suif ne se donne pas à lui. Si tout le monde trouve la proposition choquante au début, au fil des jours hommes et femmes s’impatientent et poussent Boule de Suif à s’offrir au Prussien malgré les sentiments patriotiques qui la poussent à refuser. La jeune femme finit par céder, méprisée par tout le monde lors de la suite du voyage.
La nouvelle de Maupassant s’avère particulièrement intéressante en ce qu’elle fait le tableau d’une société d’êtres égoïstes ne pensant qu’à leur propre intérêt et dédaignant finalement le combat de la prostituée. La reprise de la figure de la prostituée en tant qu’être sacrifié montre comment cette nouvelle s’inscrit dans une continuité thématique avec d’autres nouvelles de Maupassant évoquant la guerre de 1870 comme « Mademoiselle Fifi » (pour voir la fiche, cliquez ici). Les Prussiens sont à nouveau dépeints comme des êtres manipulateurs. Ici, l’officier prussien n’hésite pas à faire de Boule de Suif une monnaie d’échange. Elle seule permet de libérer les autres, ces autres qui s’avèrent de plus en plus étouffants.
Car Maupassant ne nous donne finalement pas à voir un monde manichéen où les Prussiens seraient les « méchants » et les Français les « gentils ». Au contraire ! Les Français, les compatriotes de Boule de Suif ne semblent pas valoir davantage que le Prussien lorsqu’ils la poussent à se donner à lui. Tous (même les religieuses !) soutiennent finalement le projet de l’officier et sont donc du côté d’une perfidie que rend particulièrement bien le narrateur de la nouvelle. Le cloisonnement dans l’auberge et dans la diligence souligne alors la difficile vie en société et la facilité avec laquelle l’homme sacrifie l’autre en vue de son intérêt.
La richesse de « Boule de Suif » réside aussi dans une poésie des mots et des paysages que rend particulièrement bien la description des paysages enneigés qui sont autant de manifestations visuelles des obstacles empêchant le départ de la diligence. Après s’être offerte, « pleur[ant] sa honte », Boule de Suif constate que « la neige éta[i]t plus dure », symbole alors de l’âpreté d’un destin.
Quelques citations
« La porte subitement se ferma. Tout bruit cessa. Les bourgeois gelés s’étaient tus ; ils demeuraient immobiles et roidis. Un rideau de flocons blancs ininterrompu miroitait sans cesse en descendant vers la terre ; il effaçait les formes, poudrait les choses d’une mousse de glace ; et l’on n’entendait plus, dans le grand silence de la ville calme et ensevelie sous l’hiver que ce froissement vague innommable et flottant, de la neige qui tombe, plutôt sensation que bruit, entremêlement d’atomes légers qui semblaient emplir l’espace, couvrir le monde. »
« Comme on allait se mettre à table, M. Follenvie reparut ; et, de sa voix graillonnante, il prononça : « L’officier prussien fait demander à Mlle Élisabeth Rousset si elle n’a pas encore changé d’avis. » Boule de suif resta debout, toute pâle ; puis, devenue subitement cramoisie, elle eut un tel étouffement de colère qu’elle ne pouvait plus parler. Enfin elle éclata : « Vous lui direz à cette crapule, à ce saligaud, à cette charogne de Prussien, que jamais je ne voudrai ; vous entendez bien, jamais, jamais, jamais. »
Bio rapide et liens
Guy de Maupassant, né en 1850 et mort en 1893, est un grand écrivain du XIXe siècle français. On l’inscrit généralement dans le courant naturaliste.
Grand auteur de nouvelles et de romans, allant parfois jusqu’au fantastique, il est surtout connu pour des œuvres comme Bel-Ami, Une vie ou Boule de suif.