Eugène Onéguine est un roman en vers et d’emblée Pouchkine nous place entre le romanesque et la poésie créant ainsi un mélange étrange mais épatant pour le lecteur. En effet, certains passages sont vraiment narratifs et nous permettent d’avancer dans l’intrigue, d’autres, au contraire, sont des digressions lyriques, des invocations à la Muse ou des parenthèses philosophiques et oniriques que nous propose le narrateur. Au cœur même du roman poétique se trouve un jeu avec le lecteur. Le narrateur fait preuve d’un peu de désinvolture ce qui n’est pourtant pas sans créer une certaine forme de complicité avec le lecteur soulignant alors un côté ludique que l’on apprécie. A cela s’ajoute un humour voire une ironie fortement présente envers certains personnages dont les traits, trop marqués, peuvent nous faire rire. Ce sont alors autant d’intrusions et de commentaires de l’auteur à la plume acerbe qui font la richesse de l’œuvre. S’il y a bel et bien satire chez Pouchkine, c’est parce que l’auteur se plaît à débusquer ce qui est parfois ridicule ou exagéré dans la société russe qu’il nous dépeint.
Dans l’œuvre de Pouchkine, tout est discontinuité, irrégularité, dans la façon de raconter, dans ce qui est raconté, dans les sentiments. Eugène Onéguine, le personnage principal, ressent avec force le spleen et passe sa jeunesse à s’ennuyer. Lorsque, avec son ami Lenski, ils rencontrent Olga et Tatiana, Onéguine ne montre que de l’indifférence face à Tatiana, éprise au plus haut point de ce jeune homme mystérieux. L’irrégularité du personnage se combine avec les aspects poétiques du roman, qui se situent essentiellement dans les descriptions et le rythme des strophes qui multiplie les ellipses pour accélérer la narration ou qui, au contraire, ralentit pour créer du suspense. Le temps est tendu et détendu au gré des moments forts. Le lecteur a l’impression d’avoir à faire à une œuvre un peu baroque, qui ne sait où elle va mais qui pourtant nous retrace le destin presque donjuanesque du héros éponyme ainsi que sa déception. Et surtout, l’œuvre fonctionne grâce à un réseau d‘échos et de renvois : à la lettre passionnée que Tatiana envoie à Eugène au début du roman répond la lettre finale d’Eugène à Tatiana, les deux se soldant par un échec. Mais l’échec d’Onéguine est, de loin, le plus retentissant, car il s’est doublé d’une mort qu’il doit porter sur la conscience, celle de Lenski, son ami, qu’il a dû affronter en duel. Ce que montre avec force Pouchkine c’est le retournement de situation qui s’opère dans l’œuvre : l’indifférence passe du côté de Tatiana et le séducteur est séduit.
Quelques citations :
« Il sut fort tôt porter le masque, / Taire un espoir, sembler jaloux, / Dissuader, obliger à croire, /Se donner l’air sombre et dolent, / Paraître orgueilleux ou docile / Attentif ou indifférent. / Quels silences pleins de langueur ! / Quelle flamme dans ses discours ! »
« Mais à présent tout est obscur. / La morale nous fait bâiller ; / Le vice a du charme, et triomphe / Partout, même dans les romans. »
« Cette rencontre inattendue / Eut des suites, mes bons amis, / Que je dirai une autre fois. / J’ai beaucoup parlé ; je suis las. / J’ai besoin de me reposer. / Je finirai cela plus tard. »
»N’ayez d’amour que pour vous-même, / Mon très respectable lecteur. / L’objet en est digne ; jamais / Vous ne trouverez plus aimable. »
« Cet être dangereux, bizarre, / Cet ange, ce démon hautain, / Qui est-il ? Une imitation ? / Un reflet sans substance ? […] / Pour tout dire, une parodie ? »
Bio rapide et liens :
Né en 1799 et mort en 1837, Pouchkine est un écrivain russe qui a grandement influencé ses contemporains et les générations qui lui ont succédé. Son roman le plus célèbre est Eugène Onéguine.
Poète mais aussi dramaturge, Pouchkine manie les genres avec aisance et avec un ton satirique bien à lui.