Livre au sujet envoûtant, L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde est encore aujourd’hui une référence en matière de récit fantastique. A mes yeux, cette pérennité n’est pas seulement dues aux nombreuses qualités de Stevenson (j’y reviendrai un peu plus loin) mais aussi et surtout de son sujet : la duplicité, les deux pôles de l’être humain, le côté sombre et le côté lumineux. Il y a eu le Gainsbourg et le Gainsbarre, le Renaud et le Renard ; ces deux chanteurs populaires n’ont rien inventés, Serge Gainsbourg a d’ailleurs signé une chanson intitulée « Docteur Jekyll et Monsieur Hyde », en 1968. Preuve que le sujet traverse les siècles. Et pour cause ; Docteur Jekyll, riche et respecté, a bien des ennuis avec ce Mr Hyde qu’il semble protéger contre vents et marées. Ce Mr Hyde est hideux, affreux, plein de rage et de méchanceté. Mr Hyde finira meurtrier recherché, et le Dr Jekyll ne sera plus jamais le même…
La fin bien connue de ce roman est assez simple lorsqu’on connaît les dessous de l’affaire. Mais Stevenson, en maître du roman noir, se plaît à différer les explications, à ne nous servir longuement que quelques bribes, à l’instar de Barbey d’Aurevilly dans la nouvelle « Les dessous de cartes d’une partie de whist ». Malgré l’aspect fictif de cette nouvelle, l’auteur s’amuse – avec brio – à dépeindre de façon réaliste les faits.
Testaments, lettres, secrets, portraits fins et détaillés des personnages, tous les moyens sont bons pour semer le doute. Mr Utterson, personnage « principal » que nous suivons du début à la fin de ce roman, est le parfait narrateur d’une histoire qui le dépasse. Il faut dire que chaque événement le plonge lui aussi dans une terreur plus grande, à l’image d’un lecteur pris dans le tourbillon de ce court récit haletant. L’atmosphère froide et embrumée de Londres tombe peu à peu sur tout et tout le monde. La révélation finale n’est guère un soulagement, car tout homme conscient de son propre moi sait qu’il possède une part d’ombre et de lumière. Mr Hyde est cette triste part, ténébreuse à souhait, fascinante d’effroi ; c’est un Frankenstein moderne.
Une citation
Extrait du dernier chapitre intitulé « Henry Jekyll fait l’exposé complet de son cas ».
« Dans mon cas particulier, je fus amené à méditer de façon intense et prolongée sur cette dure loi de l’existence qui se trouve à la base de la religion et qui constitue l’une des sources de tourments les plus abondantes. Malgré toute ma duplicité, je ne méritais nullement le nom d’hypocrite : les deux façons de mon moi étaient également d’une sincérité parfaite ; je n’étais pas plus moi-même quand je rejetais la contrainte et me plongeais dans le vie, que lorsque je travaillais, au grand jour, à acquérir le savoir qui soulage les peines et les maux.
Et il se trouva que la suite de mes études scientifiques, pleinement orientées vers un genre mystique et transcendant, réagit et projeta une vive lumière sur l’idée que je me faisais de cette guerre sempiternelle livrée entre mes éléments constitutifs. De jour en jour, et par les deux côtés de mon intelligence, le moral et l’intellectuel, je me rapprochai donc peu à peu de cette vérité, dont la découverte partielle a entraîné pour moi un si terrible naufrage : à savoir, que l’homme n’est en réalité pas un, mais bien deux. Je dis deux, parce que l’état de les connaissances propres ne s’étend pas eu-delà. D’autres viendront après moi, qui me dépasseront dans cette voie ; et j’ose avancer l’hypothèse que l’on découvrira finalement que l’homme est formé d’une véritable confédération de citoyens multiformes, hétérogènes et indépendants. »
Bio rapide et liens
Robert Louis Stevenson est né en 1850 à Edimbourg, et mort en 1894.
Grand voyageur, ses oeuvres marquantes sont L’Ile au Trésor et L’Etrange Cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde.