L’invitation est bel et bien un roman issu du Nouveau Roman : le lecteur n’a pas à être surpris s’il ne trouve pas vraiment d’intrigue dans ce roman, ni si les personnages semblent exempts d’une réelle épaisseur psychologique. C’est un semblant d’intrigue qui se construit peu à peu pour les lecteurs attentifs. En effet, nous suivons un voyage officiel en URSS où l’Histoire se mêle à la fiction : on nous parle ainsi d’un secrétaire général dans un pays militarisé. Ce à quoi nous assistons ce sont surtout à toutes les manifestations officielles de cette invitation où les discours incompréhensibles, malgré l’aide des interprètes, et les visites suivant un parcours bien délimité se succèdent. Tout n’est qu’image et il est bien clair pour le lecteur qu’il est toujours question, dans ce pays, face aux invités étrangers, de faire bonne figure.
Le lecteur ne peut être que surpris par une telle œuvre où l’on a souvent l’impression de se perdre dans la phrase et dans un récit où l’on peut croire qu’il n’existe aucun noyau central. Mais pour qui sait apprécier le style de Claude Simon, il est clair que cette densité de la phrase permet de rendre l’intensité d’une expérience où la diversité est on ne peut plus présente, où les personnages font tantôt face à une danseuse étoile « sans étoile » tantôt à des courses hippiques. Le style de Claude Simon est très travaillé, d’une teneur poétique certaine. Son phrasé ample où les parenthèses se multiplient rend la lecture plus complexe mais somme toute appréciable. Mais il y a aussi chez Simon une volonté, grâce à une ironie subtile, de montrer l’envers d’un décor, d’un jeu officiel où bien des masques sont portés. En somme, le lecteur est certes déboussolé mais souvent émerveillé par des passages particulièrement sonores et rythmés.
Quelques citations
« Quelque chose […] relevant non pas même alors des balbutiements de l’Histoire, de ses bégaiements, mais de ses vagissements – et non pas sauvage, barbare, mais très exactement animal, c’est-à-dire nécessité non par le calcul, l’ambition, mais le simple et primitif instinct de conservation : et même pas d’armes, pas de poignards, même pas des bâtons… »
« Et ils (les quinze invités) prirent l’habitude de cela aussi. C’est-à-dire de ne pas écouter les voix féminines, navrées et acharnées des interprètes assises derrière leurs profonds fauteuils, penchées sur les dossiers, murmurant à leurs oreilles les suites de mots dépourvus de sens, trébuchant, s’excusant, se reprenant, tandis qu’ils regardaient par les fenêtres ouvertes frissonner dans le soleil les feuilles des peupliers dépouillés jour après jour par l’automne, vert pâle, puis jaunes, or, se détachant, tombant lentement en tournoyant dans l’air paisible ou qu’une soudaine brise emportait parfois obliquement, par centaines, comme une neige. »
« … Essayant sinon d’arrêter tout au moins de ralentir, de contenir, de faire obliquer la formidable pression de la masse en mouvement (si toutefois on peut appeler mouvement l’action de rester immobile au sein du mouvement général)… »
Bio rapide et liens
Né en 1913 et mort en 2005, Claude Simon est un écrivain français issu du Nouveau Roman.
Prix Nobel de Littérature en 1985, il est reconnu pour son style particulier fait de reprises et de variations comme dans La Route des Flandres.