Déroutant, ce roman de Robbe-Grillet l’est à bien des égards. La lecture en est difficile et nécessite une implication accrue du lecteur, qui, pour bien saisir la portée de l’œuvre, ne peut laisser de côté la répétition de certaines structures ou des certaines scènes. La Jalousie représente bel et bien les nouvelles techniques d’écriture qui fondent le Nouveau Roman. Si le romancier ne cherche plus à raconter, c’est avant tout pour multiplier les scènes qui deviennent, grâce à leurs variations, des clés pour la lecture. L’intrigue qui se dégage de l’œuvre est on ne peut plus ténue : le narrateur, effacé, observe sa femme A… et Franck, dont il est jaloux. Cette observation à travers la jalousie (et le titre est déjà lourd de sens en ce qu’il est lié et au voyeurisme et au sentiment de la jalousie) est à la base du roman. En tant que lecteurs, nous ne savons rien d’autre d’A… et de Franck que ce que le voyeur observe ou imagine. Le lecteur est donc à la merci d’un regard modifié par la jalousie, et ne peut s’extraire de cette emprise.
L’expérience de lecture que nous propose Robbe-Grillet est inédite. Plongés dans un éternel ici et maintenant, les lecteurs ne savent rien des personnages et les découvrent au fil des détails et des images récurrentes. Le texte, né de la jalousie, est tout entier rempli des obsessions du narrateur. Ainsi certains motifs reviennent encore et encore (la tache du mille-pattes écrasé sur le mur, par exemple) créant une structure cyclique, et empêchant l’œuvre de suivre une intrigue linéaire.
L’exclusion du narrateur hors du champ de l’action se remarque également par l’extrême précision dans la description de lieux qu’il voit mais auxquels il ne peut vraiment appartenir. Mais, Robbe-Grillet excelle à créer chez le lecteur un certain malaise car il ne peut que se fier à ce regard et l’épouser. Le lecteur, au fil de l’œuvre et sans s’en rendre réellement compte, devient voyeur. Et puis, ce qui charme aussi les lecteurs les plus intéressés, ce sont les indices nombreux d’une réflexion littéraire au sein même de l’œuvre. La deuxième citation montre ainsi que Robbe-Grillet cherche aussi, à travers ce roman, à innover, à moderniser les structures du roman traditionnel.
Quelques citations
« Elle dit « bonjour », du ton enjoué de quelqu’un qui a bien dormi et se réveille d’agréable humeur ; ou de quelqu’un, du moins, qui préfère ne pas montrer ses préoccupations, s’il en a, et arbore, par principe, toujours le même sourire où se lit, aussi bien, la dérision que la confiance, ou l’absence totale de sentiments. »
« Sans doute est-ce toujours le même poème qui se continue. Si parfois les thèmes s’estompent, c’est pour revenir un peu plus tard, affermis, à peu de chose près identiques. Cependant ces répétitions, ces infimes variantes, ces coupures, ces retours en arrière, peuvent donner lieu à des modifications – bien qu’à peine sensibles – entraînant à la longue fort loin du point de départ. »
« Là, l’obscurité est totale. Personne ne parle plus. Le bruit des criquets a cessé. On n’entend, çà et là, que le cri menu de quelque carnassier nocturne, le vrombissement subit d’un scarabée, le choc d’une petite tasse en porcelaine que l’on repose sur la table basse. Franck et A… se sont assis dans leurs deux mêmes fauteuils, adossés au mur de bois de la maison. C’est encore le siège à ossature métallique qui est resté inoccupé. »
Bio rapide et liens
Né en 1922 et mort en 2008, Alain Robbe-Grillet est la figure majeure du Nouveau Roman dont il a présenté les idées dans son essai Pour un nouveau roman.
Romancier mais aussi cinéaste, Alain Robbe-Grillet est connu pour ses romans tels que La Jalousie et Les Gommes.