C’est en 1637, au théâtre du Marais que Tristan L’Hermite fait jouer sa tragédie La Mariane, pièce la plus connue de l’auteur. Cette tragédie semble faire le lien entre la tragédie de déploration du XVIe et le schéma classique de la tragédie qui s’imposera dans la seconde moitié du siècle. Dans cette pièce à sujet religieux, Mariane, épouse du roi Hérode, apparaît comme un enjeu du pouvoir, comme une femme qui refuse de se soumettre au tyran qu’est son mari. Insatisfait, jaloux et possessif, Hérode, avant son départ pour Rome, demande à ce que femme soit mise à mort s’il ne revient pas vivant de son voyage. Mariane, en tant qu’incarnation d’une vertu sans faille (elle refuse toute relation intime avec son mari) échappe au tyran qui perd patience. Salomé, soeur d’Hérode, ennemie de Mariane, profite de la colère de son frère pour mettre en place une stratégie visant à condamner Mariane à mort. Elle décide de payer un échanson pour qu’il dise que Mariane cherche à empoisonner son mari qu’elle déteste. Ce mensonge inventé par Salomé va condamner Mariane à mort. Elle devient alors une martyre qui accepte son sort et meurt, stoïque, après la condamnation de son mari. En la condamnant à mort, Hérode a cru pouvoir maîtriser le destin de Mariane, mais celle-ci lui échappe en acceptant la mort. Hérode finit par sombrer dans la folie et la mélancolie.
La tragédie que nous propose Tristan L’Hermite est puissante par la beauté des vers et des images. Cette tragédie de la folie et de la passion amoureuse mêle subtilement drame intime et drame politique. Des éléments baroques intéressants s’ajoutent dans les images et viennent enrichir une pièce où les fantômes des morts rôdent et taraudent la conscience du tyran. Mariane, quant à elle, incarne la femme qui résiste à la force reconnue à son mari par son statut politique. Sa chasteté devient pour elle un rempart.
Cette tragédie de l’aveuglement et de l’emportement passionnel fait d’Hérode une victime de sa démesure qui croit tout élément susceptible de confirmer que sa femme ne veut pas de lui : l’amour se change en haine, ou alors, amour et haine ne sont que le recto et le verso d’un même sentiment puissant qui l’unit à Mariane en même temps qu’il l’en éloigne. La folie finale est particulièrement forte car Hérode semble oublier qu’il a lui-même commanditer la mort de sa femme. La Mariane apparaît dès lors comme la tragédie d’une communication impossible entre les êtres, où les obstacles se multiplient (avant de la mettre à mort, Hérode enferme Mariane). Le passé fait figure d’obstacle central dans la mesure où, par le passé, le frère de Mariane, Aristobule, avait été tué sur ordre d’Hérode. Cette ancienne démence criminelle, liée à la nature mélancolique du roi, est impardonnable aux yeux de Mariane et elle en sera elle aussi victime.
Quelques citations
Phérore : « On me disait ici que vous dormiez encore.
Hérode : Tu m’as bien entendu quand j’ai parlé tout haut ; / Je me suis éveillé tout à l’heure en sursaut, / Après la vision la plus mélancolique / Qui puisse devancer un accident tragique.
Phérore : Les songes les plus noirs que l’on puisse inventer / Seraient-ils suffisants de vous épouvanter, / Vous qui savez braver les forces indomptables, / Et qui craignez si peu les périls véritables ? / Ce sont des visions qui n’ont jamais d’effet.
Hérode : Mon esprit est troublé du songe que j’ai fait. / Il m’en revient sans cesse une idée importune, / Qui ne doit m’avertir que de quelque infortune : / C’est un avant-coureur de quelque adversité. »
Mariane en prison : « Il est temps désormais que le Ciel me sépare / D’avecque ce barbare, / Son humeur et la mienne ont trop peu de rapport ; / La vertu respirant parmi l’odeur du vice / Eprouve le supplice / Du vivant bouche à bouche attaché comme un mort. / Auteur de l’Univers, souveraine puissance, / Qui depuis ma naissance, / M’as toujours envoyé des matières de pleurs, / Mon âme n’a recours qu’à tes bontés divines : / Au milieu des épines, / Seigneur, fais-moi bientôt marcher dessus des fleurs. »
Hérode : « Mariane a des morts accru le triste nombre ? / Ce qui fut mon soleil n’est donc plus rien qu’une ombre ? / Quoi ? Dans son Orient cet astre de beauté, / En éclairant mon âme, a perdu la clarté ? / Tu dis que Mariane a perdu la lumière, / Et le flambeau du monde achève sa carrière ? / On le vit autrefois retourner sur ses pas, / A l’objet seulement d’un funeste repas, / Et d’une horreur pareille il se trouve incapable, / Quand on vient devant lui d’éteindre son semblable. / Astre sans connaissance et sans ressentiment, / Tu portes la lumière avec aveuglement. »
Bio rapide et liens
Tristan L’Hermite, né en 1601 et mort en 1655, est un dramaturge français du XVIIe siècle dont la tragédie La Mariane a eu une renommée aussi importante que Le Cid de Corneille à l’époque où elle fut présentée.
Poète et dramaturge (tantôt comique, tantôt tragique), Tristan L’Hermite apparaît comme un auteur protéiforme qui a même rédigé un roman autobiographique intitulé Le Page disgracié.