Réécriture intéressante du mythe de Don Juan, La Mort qui fait le trottoir est à plusieurs égards un hommage aux traditionnelles visions du mythe. Néanmoins, c’est bien par sa nouveauté que la pièce de Montherlant frappe le lecteur-spectateur. Don Juan est ici un vieil homme de soixante-six ans, que son fils Alcacer, nouveau Sganarelle, suit partout. Le couple nous fait rire, sûrement tout autant que chez Molière. Le dramaturge introduit également les personnages des carnavaliers, voyous voyeurs et ridicules. Mais, à mesure que la pièce se déroule sous nos yeux, la comédie vire au drame puis à la tragédie. Ce glissement perceptible renforce l’idée que le personnage de Don Juan a ici deux facettes : l’une est celle du beau parleur ; l’autre est celle du vieillard lucide au sujet de son avenir et attendant la mort. Don Juan fait rire et réfléchir. Il est à l’heure du bilan et sait que le désir et l’inconstance fondent encore son identité.
Mais, ce qui fait toute la beauté et tout le charme de la pièce de Montherlant, c’est la prise en compte des autres réécritures du mythe. Il y a en effet à travers toute la pièce une sérieuse réflexion sur l’identité de Don Juan et sur les secrets qu’il renferme. Don Juan est conscient d’être un personnage mythique. Est-il fondamentalement un être en manque de Dieu cherchant à combler ce manque d’Absolu par le Désir ? Alcacer répond aux penseurs (car Montherlant nous donne à voir de comiques personnages appelés « Penseur-qui-a-des-idées-sur-DonJuan ») que Don Juan est un homme sans Dieu, se moquant du salut. Il y a en cela un certain pied de nez volontaire à tous les exégètes du mythe qui permet aussi de rendre la pièce plus légère.
Ce Don Juan vieilli, non plus élevé au rang de mythe mais se tournant vers son passé mythique, joue aux séducteurs et son jeu le mène droit à la Mort, dont il finira par revêtir le masque. Malgré la tonalité tragique, Montherlant, avec son sens de la formule, insiste, grâce aux masques, aux jeux de séduction et aux carnavaliers, sur l’essence théâtrale de Don Juan, personnage oscillant entre le vrai et le factice, et qui finit par se prendre au jeu de son propre jeu.
Quelques citations
« Don Juan : Quand un homme est marqué par la mort, cela se voit sur son visage. Dis-moi où je suis marqué.
Alcacer : Nulle part.
Don Juan : Toutes ces rides…
Alcacer : Ce sont les plis de votre oreiller. »
« Don Juan : Tout ce que je n’ai pas risqué est perdu. »
« Don Juan : Je ne me souviens que des attentes, et des rendez-vous où l’on ne vint pas. Les songes de mes nuits ne sont pas pleins des visages que j’ai eus, mais des visages qui m’ont échappé. J’ai tout à faire, je n’ai rien fait ; tout commence, et tout finit. A quoi bon avoir vécu, si je ne me souviens pas ? C’est comme si je n’avais pas vécu. Pourquoi me mirer dans mon passé, si je n’y vois rien ? »
« Alcacer : Quand je pense à tant de mauvaises comédies où des fils usent de mille stratagèmes pour tirer quelques écus de leur père !
Don Juan : Oui, mais cette fois nous sommes dans une tragédie. »
Bio rapide et liens
Né en 1895, Henry de Montherlant est un des grands noms de la littérature française du XXe siècle. Il publie des romans mais est surtout connu pour ses pièces de théâtre.
Membre de l’Académie Française, Montherlant est célèbre pour certaines de ses pièces comme La Reine morte. En 1972, il met fin à ses jours.