Publié en 1888, Le Rêve est le seizième roman de la fresque des Rougon-Macquart. A première vue, ce roman semble stéréotypé. Il travaille sur l’ensemble des clichés du roman sentimental. Angélique, une pauvre enfant trouvée, est recueillie par une Hubert et Hubertine, un couple pieux habitant à côté de la cathédrale de Beaumont. Angélique y grandit, tombe amoureuse de Félicien, jeune homme riche, fils du Monseigneur de Beaumont. Cet amour, impossible d’abord, en raison des différences sociales, finira par s’imposer envers et contre tous. Angélique et Félicien parviendront à se marier et Angélique, affaiblie par des mois de lutte contre cet amour impossible, finit, au comble du bonheur, par mourir dans les bras de celui qu’elle aime. L’amour triomphe et outrepasse les nombreux obstacles qui se dressaient entre les deux amants. Ce roman de Zola est aussi un roman de la religion, un roman de la foi voire du mysticisme. En effet, Angélique, dans la pureté de sa jeunesse, est lectrice de La Légende dorée, oeuvre retraçant la vie des saint(e)s et des martyr(e)s.
L’identification est complète pour Angélique qui, lorsqu’elle est amenée à lutter contre un amour jugé impossible, se réclame des saintes pour se donner du courage et pour vivre en se contentant de peu et en réfrénant toute passion. Ce « rêve » dont nous parle le titre implique un perpétuel travail sur l’invisible, sur l’imagination, sur l’aspect miraculeux aussi de cet amour qui parvient à s’imposer. Zola, travaillant sur les bases du roman sentimental, ne tombe pas dans l’excessive niaiserie. Il colore son roman d’une intéressante réflexion sur le monde du rêve, du rêve devenant réalité et même épousant les contours de celle-ci.
Ce qui surprend le lecteur qui a l’habitude de fréquenter les textes de Zola, c’est l’immense part faite à l’idylle amoureuse. Zola, pour une fois, ne nous propose pas un roman fondamentalement pessimiste. Le naturalisme nous avait en effet habitué à une conception assez noire de l’existence humaine où le passé et l’hérédité semblaient déterminer par avance toute existence donnée. Il n’en va pas de même pour Angélique, plante déracinée, pour reprendre la métaphore zolienne. Le romancier nous offre alors une réflexion tout à fait intéressante sur le changement de milieu.
Le naturalisme n’a donc pas été évincé par l’aspect sentimental du roman. Angélique permet elle aussi au romancier de comprendre l’interaction entre l’homme et son milieu. Il y a, quelquefois en Angélique, des relents d’une tare familiale, de sa famille d’origine, mais cette hérédité censée la déterminer est contrecarrée par la piété incarnée par les Hubert qui l’accueillent et en font leur fille. A partir de là, il y a chez Angélique deux élans, celui d’un passé qui reste obscur pour elle – puisque Hubert lui dit que sa mère est morte alors qu’elle vit encore à Paris – , et celui d’un présent de la foi religieuse vécue avec ferveur.
Les deux milieux qui déterminent Angélique trouvent donc en elle le terrain d’une opposition et c’est le milieu d’accueil plutôt que le milieu d’origine qui semble l’emporter à la fin du roman. La puissance du Rêve que nous offre Zola réside dans cette tentative de concilier un romanesque proche de celui des contes de féeet une esthétique naturaliste qui n’est nullement laissée de côté.
Quelques citations
« Lui, s’était redressé. Il se souvenait d’elle : la jeune fille remarquée à sa fenêtre, le jour de la procession, retrouvée dans l’église, debout sur une chaise, cette petite brodeuse dont son fils était fou. Il n’eut pas une parole, pas un geste. Il attendait, haut, rigide.
– Ô Monseigneur, je suis venue, pour que vous puissiez me voir… Vous m’avez refusée, seulement vous ne me connaissez pas. Et me voilà, regardez-moi, avant de me repousser encore… Je suis celle qui aime et qui est aimée, et rien d’autre, rien en dehors de cet amour, rien qu’une enfant pauvre, recueillie à la porte de cette église… Vous me voyez à vos pieds, combien je suis petite, faible et humble. Cela vous sera facile de m’écarter, si je vous gêne. Vous n’avez qu’à lever un doigt, pour me détruire… »
« Et c’était un envolement triomphal, Angélique heureuse, pure, élancée, emportée dans la réalisation de son rêve, ravie des noires chapelles romanes aux flamboyantes voûtes gothiques, parmi les restes d’or et de peinture, en plein paradis des légendes. Félicien ne tenait plus qu’un rien très doux et très tendre, cette robe de mariée, toute de dentelles et de perles, la poignée de plumes légères, tièdes encore, d’un oiseau. Depuis longtemps, il sentait bien qu’il possédait une ombre. La vision, venue de l’invisible, retournait à l’invisible. Ce n’était qu’une apparence, qui s’effaçait après avoir créé une illusion. Tout n’est que rêve. Et, au sommet du bonheur, Angélique avait disparu, dans le petit souffle d’un baiser. »
Bio rapide et liens
Né en 1840 et mort en 1902, Emile Zola est l’un des plus grands romanciers français du XIXe siècle dont la fresque des Rougon-Macquart l’a rendu particulièrement célèbre.
Incarnation du courant naturaliste, Zola, influencé par Darwin, travaille essentiellement sur le milieu et l’hérédité déterminant les personnages. Il a également été un journaliste de taille et a défendu Dreyfus dans son fameux article « J’accuse ! ».