Ma première impression de lecture fut celle-ci : on peut faire de grandes choses avec un récit très épuré. Mauriac l’a réussi avec Le sagouin. Roman terrible qui raconte l’histoire du petit Guillaume, Guillou, Le sagouin est aussi une façon de désigner ce garçon simple ou simplet. Sa mère le déteste, ses proches paraissent sûrs de son imbécillité. Paule, sa mère, souffre des regards suspicieux des villageois, persuadés qu’elle a eu une histoire avec un prêtre. Tout est faux, mais le silence de la famille de Cernès est tel qu’ils sont complètement isolé dans un petit village perdu dans le Sud-Ouest de la France. Le baron Galléas, le père de Guillaume, a donc épousé Paule ; celle-ci n’a apparemment accepté cette « alliance » que pour sortir de sa petite bourgeoisie, et pour devenir baronne. Et puis, au-dessus du petit Guillou, il y a cete grand-mère, la belle-mère de Paule, adjuvante du sagouin mais qui refuse catégoriquement que celui-ci aille à l’école. Il faut dire que l’instituteur est de gauche, peut-être même que c’est « un rouge ». La seule véritable amie du sagouin, c’est Fräulein, la bonne à tout faire, la seule mère digne de ce nom. Guerre de famille, conflits entre Paule et le reste du monde, silence coupable et honteux de Guillaume… Ce petit monde empli de haine et de suspicion va aboutir à un sordide dénouement qui clôture magistralement le roman.
L’instituteur, Robert Bordas, après une entrevue compliquée avec la Baronne, voit venir chez lui la mère de Guillaume. Par des détours ingénieux, elle permet à son fils de rencontrer l’instituteur et d’entrer dans la chambre du fils de Bordas, Jean-Pierre. Ce dernier a tout réussi, et son avenir brillant est tout tracé : on parle d’Ecole Normale Supérieure, du Collège de France, de la Sorbonne. Guillou voit tout cela et compare sans un mot sa propre situation et celle de ce fils prodigue. La souffrance endurée par le fils est aussi celle du père, Galéas. Histoire d’une famille qui se disloque, Le sagouin est aussi un roman qui nous retrace les ambitions et les rêves brisés de petites gens. Mais le malheur dans tout cela, c’est que nous nous identifions rapidement à Guillaume, garçon pas si bête, mais éternellement replié sur ses propres angoisses, créées de toutes pièces par la rigidité et la méchanceté du cadre familial. Au fond, tous souffrent.
Leur maison, reculée, n’est qu’une cachette où Paule rumine elle aussi sa solitude et sa détresse. L’égoïsme de chacun ne leur permet pas de voir le mal se propager. Finalement, tous s’enfoncent, au sens propre comme au sens figuré, dans un abîme de tristesse et de désolation. Les paysages décrits sont pour beaucoup dans la construction de cette atmosphère oppressante et grisâtre. Une histoire difficile, mais un roman aisé à lire tant la plume de l’auteur a su rendre compte de l’émotion, palpable à chaque page. Ecrit en 1951, il n’a pas pris une ride ; preuve que les hommes n’ont guère changé.
Une citation
« Les larmes de Guillou, Mamie dit qu’elles sont salissantes. Plus il pleure et plus il a la figure sale, à cause de ses mains pleines de terre dont il se barbouille. Quand il va rentrer, sa mère lui dira… Mamie lui dira… Fräulein lui dira…
M.Bordas ne veut plus s’occuper de lui. Il n’entrera plus jamais dans la chambre de Jean-Pierre. Jean-Pierre. Jean-Pierre Bordas. C »est drôle d’aimer un garçon qu’on n’a jamais vu, qu’on ne connaîtra jamais. « Et s’il m’avait vu, il m’aurait trouvé vilain, sale et bête. » C’est ce que sa mère lui répète chaque jour : « Tu es vilain, sale et bête. » Jean-Pierre Bordas ne saurait jamais que Guillaume de Cernès était vilain, sale et bête : un sagouin. »
Bio rapide et liens
François Mauriac, né en 1885, est un écrivain français qui a obtenu le Prix Nobel de Littérature en 1952.
Grand analyste des passions de l’âme, il s’éteint en 1970, à Paris, après nous avoir livré quelques chefs-d’oeuvres comme Le sagouin, ou Thérèse Desqueyroux.