Si l’on connaît Roméo et Juliette de Shakespeare, on connaît l’intrigue des Amours tragiques de Pyrame et Thisbé de Théophile de Viau. L’histoire est, à quelques exceptions près, la même : Pyrame aime Thisbé mais leurs parents se haïssent. A cette haine entre familles s’ajoute la figure du Roi tyrannique qui cherche à se débarrasser de Pyrame en qui il voit un rival amoureux dans la mesure où il s’est lui aussi épris de la belle Thisbé. Tout ce qui est extérieur au couple apparaît ainsi comme des obstacles au bonheur des amoureux. N’y tenant plus, tous deux décident de se donner rendez-vous près du tombeau de Ninus pour s’échapper en pleine nuit et vivre leur amour. Avant la réunion des deux amants, le spectateur apprend que la mère de Thisbé a fait un terrible songe : elle a vu sa fille ensanglantée lui reprocher la mort de son amant. Ce songe figure la mauvaise conscience d’une mère qui se rend compte de la sévérité de son autorité concernant l’amour de sa fille et préfigure la mort des amants. En effet, le cinquième acte de la tragédie se concentre sur la terrible méprise des amants. Thisbé arrive la première près du tombeau. Un lion rassasié des proies qu’il vient de dévorer se trouve près de là, et prenant peur, Thisbé part en courant laissant tomber son voile. Lorsque Pyrame voit le voile de Thisbé et le sang qu’a fait couler le lion, il pense que sa maîtresse est morte. Il décide de se suicider. Revenant après avoir dormi, Thisbé aperçoit le corps mort de son amant. Décidant de le rejoindre, elle se suicide elle aussi.
La tragédie de Viau est une oeuvre d’une beauté poétique particulièrement savoureuse pour qui est sensible aux aspects lyriques des oeuvres théâtrales. Cette tragédie montre, par ses accents pathétiques, la volonté de voir l’amour vaincre sur la haine entre les familles et sur la mort. La culpabilité finale de chacun des amoureux montre bien que l’un se sent responsable de la mort de l’autre. C’est ainsi que la pitié naît chez le spectateur, conscient de la terrible méprise qui a mené les amants à la mort.
La mort se colore surtout de sang dans cette tragédie qui fait fi des règles de la bienséance. Le sang se charge d’une dimension symbolique nette dans le dernier acte, où le sang est l’un des mécanismes de la méprise mais aussi ce qui va permettre la réunion des amants, Thisbé souhaitant voir couler son sang dans celui de son amant. Refusant résolument de se soumettre aux règles de la tragédie qui ont été édictées dans la Poétique d’Aristote, Théophile de Viau montre les suicides sous les yeux des spectateurs et ne respecte pas l’unité de lieu.
Il fait figure d’auteur original dans une décennie qui renouvelle la tragédie pour de plus en plus la soustraire aux règles qu’on lui connaît. Les lieux se chargent d’une dimension poétique particulièrement forte, comme le prouvent les fleurs dont le changement de couleur est le signe d’un passage à la mort. Ce refus des règles nous permet surtout d’apprécier chez Théophile toute la liberté qu’il donne à sa création, liberté qui sera certes critiquée par les doctes mais qui fait, à nos yeux, toute la grandeur du poète libertin.
Quelques citations
Pyrame : « Mais je me sens jaloux de tout ce qui te touche, / De l’air qui si souvent entre et sort par ta bouche ; /Je crois qu’à ton sujet le soleil fait le jour /Avecque des flambeaux et d’envie et d’amour ; /Les fleurs que sous tes pas tous les chemins produisent / Dans l’honneur qu’elles ont de te plaire me nuisent ; / Si je pouvais complaire à mon jaloux dessein, / J’empêcherais tes yeux de regarder ton sein ; / Ton ombre suit ton corps de trop près, ce me semble, / Car nous deux seulement devons aller ensemble. / Bref, un si rare objet m’est si doux et si cher, / Que ta main seulement me nuit de te toucher. »
Thisbé : « Dieux ! je vois par la terre un corps qui semble mort. / Mais pourquoi m’effrayer ? c’est Pyrame qui dort. / Pour divertir l’ennui de son attente oisive, / Il repose au doux bruit de cette source vive. / Ce sera maintenant à lui de m’accuser. / Mais ce lieu dur et froid, mal propre à reposer, / Que déjà la rosée a rendu tout humide, / M’oblige à l’éveiller. Dieux ! que je suis timide ! / J’ai son contentement et son repos si cher / Que ma voix seulement a peur de le fâcher ; / Il dort si doucement qu’on ne saurait à peine / Discerner parmi l’air le bruit de son haleine. / Mais d’où vient qu’immobile et froid dessous ma main / Il semble mort ? Pyrame ! ô Dieux ! j’appelle en vain, / Il ne respire plus, ce beau corps est de glace. / Hélas ! je vois la mort peinte dessus sa face ; / D’une éternelle nuit son bel oeil est couvert ; / Je vois d’un large coup son estomac ouvert. / Hé ! ne meurs pas si tôt, ouvre un peu la paupière, / Respire encore un coup, je mourrai la première, / Ne t’en va point sans moi, ne me fais point ce tort. »
Bio rapide et liens
Né en 1590 et mort en 1626, Théophile de Viau est une des grandes figures littéraires du début du XVIIe siècle.
Connu comme poète et comme libertin, il s’illustre également dans le genre dramatique en proposant une tragédie à partir de l’histoire des amours de Pyrame et de Thisbé proposée par Ovide dans ses Métamorphoses.