Les Lettres portugaises de Guilleragues est une roman épistolaire époustouflant, le premier du genre. Il regroupe cinq lettres fictives décrivant la passion folle de Mariane, une religieuse, pour un officier français. Ces cinq lettres, comme cinq acte d’une tragédie racinienne, disent la douleur d’une femme abandonnée à elle-même et incapable d’oublier cet homme qui ne répondra à aucune de ces lettres. Cette femme séduite vit donc un sort funeste. L’absence de réponse souligne la douleur ressentie par cette femme, consciente du martyre qu’elle subit. La passion est à son comble et éclate avec brio dans ces lettres d’une religieuse trahie. L’œuvre apparaît alors comme un long monologue tragique et désespéré où se mêlent différents sentiments poussés à leur paroxysme : amour, rancœur, … L’absence de réponse plonge encore plus Mariane dans la douleur et dans le manque. Enfermée dans un couvent et devant faire face à une solitude insupportable, elle offre au lecteur un cri de désespoir.
Le texte s’avère particulièrement intéressant dans la mesure où il s’inscrit parfaitement dans une seconde moitié du XVIIe siècle qui a une vision pessimiste des passions et qui s’en méfie tout particulièrement. L’amour n’est que synonyme de manque et de douleur, l’absence augmente le désespoir et la passion ne peut qu’être dévastatrice pour qui la vit. Ainsi, l’intérêt d’une structure tragique apparaît dans l’oeuvre lorsque l’on constate que Marianne passe de l’égarement le plus complet à la résignation.
Tout espoir de réponse est vain, semble-nous dire le dénouement de cette tragédie. Et si l’oeuvre de Guilleragues exprime cette idée, c’est aussi parce que l’auteur travaille son style à un tel point que l’ensemble paraît naturel. L’impression d’authenticité domine dans un texte où le lecteur pense percevoir l’expression la plus immédiate d’une passion dévastatrice. Les nombreuses questions donnent l’impression d’un égarement total. Tout est là pour faire illusion, comme au théâtre, et Guilleragues réalise ainsi l’une des plus grandes supercheries de l’histoire littéraire en faisant croire qu’il a traduit d’authentiques lettres venues d’une religieuse portugaise.
Quelques citations
« Considère, mon amour, jusqu’à quel excès tu as manqué de prévoyance. Ah ! Malheureux ! tu as été trahi, et tu m’as trahie par des espérances trompeuses. Une passion sur laquelle tu avais fait tant de projets de plaisirs, ne te cause présentement qu’un mortel désespoir, qui ne peut être comparé qu’à la cruauté de l’absence qui le cause. Quoi ? Cette absence, à laquelle ma douleur, tout ingénieuse qu’elle est, ne peut donner un nom assez funeste, me privera donc pour toujours de regarder ces yeux dans lesquels je voyais tant d’amour, et qui me faisaient connaître des mouvements qui me comblaient de joie, qui me tenaient lieu de toutes choses, et qui enfin me suffisaient ? »
« Adieu, je voudrais bien ne vous avoir jamais vu. Ah ! je sens vivement la fausseté de ce sentiment, et je connais, dans le moment que je vous écris, que j’aime bien mieux être malheureuse en vous aimant, que de ne vous avoir jamais vu ; je consens donc sans murmure à ma mauvaise destinée, puisque vous n’avez pas voulu la rendre meilleure. »
« Je ne veux plus rien de vous, je suis une folle de redire les mêmes choses si souvent, il faut vous quitter et ne penser plus à vous, je crois même que je ne vous écrirai plus ; suis-je obligée de vous rendre un compte exact de tous mes divers mouvements ? »
Bio rapide et liens
Guilleragues (1628-1685) est un homme de lettres du XVIIe siècle, ami de Racine.
En 1669, il publie les Lettres portugaises, qu’il fait passer pour des lettres authentiques alors qu’elles sont fictives. Ce roman épistolaire influencera les Liaisons dangereuses de Laclos.