Ionesco reprend, avec sa pièce Macbett, la sombre figure du monstre qui a été le fondement même du Macbeth de Shakespeare. La pièce se présente comme une parodie de celle de Shakespeare dans la mesure où Ionesco tourne en ridicule bien des processus et des modalités de la tragédie shakespearienne. Ici aussi, Macbett a soif de pouvoir, mais il n’est pas le seul. Tous sont avides de pouvoir : Duncan, qui refuse de céder des terres à Macbett et à Banco, Candor et Glamiss, ces deux traîtres dont la présence sur scène est développée par rapport à la version de Shakespeare, mais aussi Lady Duncan, Macbett, Banco et Macol. A bien des égards, cette quête du pouvoir illimité est la passion qui anime tous les personnages qui ne font que se trahir pour assouvir leur désir. Les sorcières reviennent, annonçant la victoire de Macbett, qui semble d’abord refuser ce sort.
Mais à nouveau, l’ambition finira par l’emporter et le meurtre de Duncan est perpétré par Macbett, Banco et Lady Duncan, qui ne tardera pas à se marier avec Macbett, devenant ainsi Lady Macbett. Mais, ce qui apparaît nettement chez Ionesco, c’est la vision pessimiste de l’homme qui caractérise nettement son œuvre : lorsque Macbett est battu, Macol arrive sur le trône, plus assoiffé de pouvoir que le précédent tyran et suffisamment cynique pour dire : « Je n’ai aucune des vertus qui conviennent aux souverains […]. Mais j’abonde en penchants diversement criminels que je satisferai par tous les moyens. »
La réécriture de Ionesco touche justement à ce pessimisme qu’a pu mettre en scène le théâtre de l’absurde. Et tout, en effet, tend, dans Macbett, à faire entendre l’idée que le monde est absurde, que son sens nous échappe et même que les révolutions semblent insensées dans la mesure où elles mènent à des situations bien pires encore que les précédentes. Comme Ionesco le dit dans l’entretien ci-après, « tout le monde tue tout le monde« , à l’ère des génocides. Cette vision très noire d’une humanité guidée par le Mal et l’égoïsme se trouve renforcée dans la pièce par rapport à celle de Shakespeare dans la mesure où les exécutions se multiplient sur scène avec un aspect très mécanique. La cruauté est représentée dans son essence même, celle de l’inhumanité.
Mais pourtant, Ionesco parvient à nous faire rire, en montrant justement à quel point les personnages sont interchangeables : Macbett et Banco tout d’abord, que Lady Duncan confond, mais aussi le couple Glamis / Candor et le couple Macbett / Banco. Les quatre hommes tiennent les mêmes discours et le comique de répétition est central, tout en montrant l’inanité de tout dialogue. Le grotesque et le ridicule remplissent la scène et finissent par créer chez le spectateur un réel sentiment de malaise, celui d’avoir sous les yeux la tragique comédie humaine.
Quelques citations
« Macbett : La lame de mon épée est toute rougie par le sang. J’en ai tué des douzaines et des douzaines, de ma propre main. Douze douzaines d’officiers et de soldats qui ne m’avaient rien fait. J’en ai fait fusiller d’autres, des centaines et des centaines, par des pelotons d’exécution. Des milliers d’autres sont morts, brûlés vifs dans les forêts où ils s’étaient réfugiés et que j’ai fait incendier. Des dizaines de milliers, hommes, femmes et enfants, sont morts étouffés dans des caves, sous les décombres de leurs maisons que j’avais fait sauter […]. Il n’y a plus assez de terre pour ensevelir les gens. Les corps gras des noyés ont bu toute l’eau des lacs dans lesquels ils s’étaient jetés. Il n’y a plus d’eau. »
« Macbett : Duncan est loyal. Ce qu’il a promis, il le tient.
Première sorcière : Tu seras archiduc, souverain de ce pays.
Macbett : Tu mens. Je n’ai pas d’ambition. Ou plutôt je n’en ai qu’une : servir mon souverain.
Première sorcière : Tu seras toi-même le souverain. Tu es prédestiné. Je vois l’étoile à ton front. »
« Duncan : Je ne suis entouré que d’ennemis cupides et d’amis dangereux. Personne n’est désintéressé. La prospérité du royaume et le bien-être de ma personne devraient leur suffire. Ils n’ont pas d’idéal. Pas vraiment. (A l’officier Nous saurons nous défendre. »
« Macbett : L’histoire est rusée. Tout vous échappe . Nous ne sommes pas les maîtres de ce que l’on a déclenché. Les choses se retournent contre vous. Tout ce qui se passe est le contraire de ce que vous vouliez qu’il arrivât. Régner, régner, ce sont les événements qui règnent sur l’homme, non point l’homme sur les événements. »
Bio rapide et liens
Eugène Ionesco, né en Roumanie en 1909 et mort en 1994, est un des principaux représentants du théâtre de l’absurde qui se développe après la Seconde Guerre mondiale.
Ionesco multiplie les pièces où l’absurdité et le comique côtoient une réflexion sérieuse voire pessimiste sur l’existence.