Les Maximes de La Rochefoucauld apparaissent comme une oeuvre d’une extrême lucidité. Cherchant à révéler les véritables desseins qui gouvernent l’âme humaine, l’auteur découvre que l’amour-propre, ce monstre « inconstant d’inconstance » (première maxime supprimée), dirige l’homme, qui ne saurait se connaître véritablement dans la mesure où toute maîtrise parfaite de soi semble illusoire. Il s’agit donc de dénoncer les illusions humaines à l’aide d’un style sec et tranchant. Oeuvre puissante et démystificatrice, Les Maximes de La Rochefoucauld sont un portrait au vitriol d’un idéal illusoire qui a gouverné l’ensemble du premier XVIIe siècle, à savoir la figure du héros. La lucidité critique de l’auteur lui permet de faire l’anatomie des replis du coeur humain. Une fois encore, cette étude de l’homme par le moraliste nous permet de saisir tout l’intérêt qu’a le XVIIe siècle pour les passions.
Ces dernières sont finement analysées par une écriture au scalpel, car les maximes sont autant de traits décochés dans l’esprit et le coeur du lecteur. On ne saurait pourtant réduire cet ouvrage à un ensemble de remarques pessimistes visant à détruire l’homme. La Rochefoucauld invite en effet son lecteur à mener une réflexion personnelle. Lire La Rochefoucauld donne à penser et ce dernier ne nous prescrit aucun comportement.
Comme l’amour-propre gouverne l’homme et le monde, La Rochefoucauld fait un constat pessimiste : l’intérêt personnel ne laisse aucune place à la générosité ou à un altruisme véritable. En révélant la face cachée de comportements considérés comme exemplaires, l’auteur montre à quel point les vices et les vertus sont toutes relatives. Les grands et les sages sont démasqués comme le montre le frontispice de l’oeuvre où Sénèque est démasqué par l’amour de la vérité, seul amour qui pourrait peut-être échapper au mélange des passions. Le pessimisme de La Rochefoucauld nait évidemment de sa lucidité.
La société, et plus particulièrement la Cour, apparaît alors comme un grand théâtre où les masques sont trop nombreux pour atteindre une quelconque vérité sincère. L’oeuvre de La Rochefoucauld répond à une écriture du paradoxe qui est constitutif de la nature humaine. Cet aspect paradoxal de l’homme se retrouve à l’échelle du siècle et Les Maximes sont une oeuvre qui montre toutes les complexités des rapports qu’entretiennent le XVIIe siècle et les passions : à la condamnation morale sans appel répond une sublimation esthétique de taille et c’est bien ce que nous prouve La Rochefoucauld.
Quelques citations
Maxime 3 : « Quelque découverte que l’on ait faite dans le pays de l’amour-propre, il y reste encore bien des terres inconnues. »
Maxime 10 : « Il y a dans le coeur humain une génération perpétuelle de passions, en sorte que la ruine de l’une est presque toujours l’établissement de l’autre. »
Maxime 26 : « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement. »
Maxime 69 : « S’il y a un amour pur et exempt du mélange de nos autres passions, c’est celui qui est caché au fond du coeur, et que nous ignorons nous-mêmes. »
Maxime 76 : « Il est du véritable amour comme de l’apparition des esprits : tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu. »
Maxime 102 : « L’esprit est toujours la dupe du coeur. »
Maxime 136 : « Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour. »
Maxime 209 : « Qui vit sans folie n’est pas si sage qu’il croit. »
Maxime 324 : « Il y a dans la jalousie plus d’amour-propre que d’amour. »
Maxime 422 : « Toutes les passions nous font faire des fautes, mais l’amour nous en fait faire de plus ridicules. »
Maxime 435 : « La fortune et l’humeur gouvernent le monde. »
Bio rapide et liens
François duc de La Rochefoucauld, né en 1613 et mort en 1680, est un des grands noms de la littérature du second XVIIe siècle. Cet homme de lettres issu de la noblesse a également participé à la Fronde, s’opposant ainsi férocement à Mazarin.
Les Maximes et Réflexions diverses sont l’oeuvre la plus célèbre de l’auteur qui a également rédigé ses Mémoires. La Rochefoucauld s’inscrit dans la lignée des moralistes du grand siècle tels que Pascal, Pierre Nicole et La Bruyère.