Avec Orgueil et préjugés, Austen nous offre un roman du mariage. L’oeuvre s’ouvre sur l’arrivée du riche Mr. Bingley dans le voisinage des Bennet, grande famille où cinq filles sont à marier. Le mariage apparaît d’emblée comme la solution pour ces filles qui ne peuvent hériter du domaine paternel. L’importance que revêt le mariage est prouvée par le nombre de noces célébrées dans le roman. Quatre personnages féminins vont se marier, trois des cinq filles de la famille Bennet et Miss Charlotte Lucas, voisine de Bennet. Mais seuls deux de ces mariages sont réussis. Il s’agit de celui de Jane avec Mr. Bingley et de celui d’Elisabeth, héroïne du roman, avec Mr. Darcy. Il n’est donc pas surprenant de trouver dans un tel roman tous les traditionnels obstacles à l’amour. A la distance, à l’absence s’ajoutent le doute, les préjugés et la différence de situation. En effet, Jane et Elisabeth sont bien moins riches que Bingley et Darcy. L’amour, le mariage, les rebondissements de telles aventures permettent à ce roman de devenir une étude de caractères. Jane Austen passe la société qu’elle décrit au peigne fin et analyse les opinions, les railleries et l’intimité des consciences. C’est également ainsi que se trouve développé l’héroïsme d’une femme, Elisabeth Bennet, refusant de se marier à celui qui lui semble tout d’abord destiné, son cousin Mr Collins, – le but étant d’éviter tout déclassement de la famille par le biais de ce mariage entre cousins. Son refus et son fort caractère porteront leur fruit.
Son mariage réussi avec Mr. Darcy est le symbole d’une ascension sociale. Le mariage, issu d’une fugue irraisonnée, de leur jeune soeur d’Elisabeth, Lydia avec un officier, M. Wickham, faillit mettre l’honneur de la famille Bennet en péril et n’est qu’un pis-aller qui souligne la bêtise des benjamines de la famille qui, à l’image de leur mère, courent après les officiers sans penser aux conséquences de leurs actes.
Jane Austen sait plaire à son lecteur parce qu’elle manie habilement l’art des dialogues, créant de vrais dialogues théâtraux dans lesquels le langage employé permet de cerner le caractère du personnage. Ainsi Mr Collins, à cause de son langage obséquieux, est-il peint comme un homme ridicule, trop prompt à complimenter et à louer les autres. Sa complaisance excessive fait de lui l’archétype de l’homme sot. C’est aussi de cette façon que Jane Austen nous donne à sentir tout l’humour qui innerve son écriture.
Son goût pour le trait d’esprit typiquement anglais se révèle parfaitement dans de nombreuses pages du roman. C’est là aussi une façon de plaire au lecteur, dont le regard est aussi amusé que celui du narrateur. Mais à cette légèreté et à cet humour s’ajoute un sérieux à côté duquel il ne faudrait pas passer. Ce roman dit aussi la puissance terrible de l’argent, de la perfidie dans la société. Roman sérieux également questionnant la société puisqu’il met en scène des êtres incapables de remettre en question l’ordre dans lequel ils sont intégrés, Orgueil et préjugés n’hésite pas à montrer les faiblesses humaines, l’aspect changeant de l’opinion et l’aveuglement dans lequel la société peut nous maintenir à force d’ouïe-dire.
La réussite du mariage d’Elisabeth et de Darcy ne se fait alors qu’au prix d’une prise de conscience : l’orgueil et les préjugés ont créé de l’autre une image qui n’était pas conforme à celle qui pourrait représenter sa nature profonde. Si la dissimulation des sentiments est de mise dans un roman où deux orgueils s’affrontent (celui d’Elisabeth et celui de Darcy), ce n’est qu’une fois les masques tombés que les sentiments se disent et se renforcent, permettant aux deux personnages d’aller au bout de leur amour et de leur destin, envers et contre tous.
Quelques citations
« A la seule évocation des sentiments débordants du très solennel Mr Collins, Elisabeth faillit pouffer, de sorte qu’elle ne put mettre à profit le bref moment de répit qu’il lui laissa pour l’empêcher d’aller plus loin, et il poursuivit :
– Les raisons qui m’engagent à me marier sont, particulièrement, qu’il est bon selon moi que tout homme d’Eglise, un tant soit peu aisé (comme moi) donne l’exemple dans sa paroisse en se mariant. Deuxièmement, je suis convaincu que cela contribuera grandement à mon bonheur. Troisièmement, et j’aurais sans doute dû commencer par là, c’est là le conseil et la recommandation que m’a donnés la très noble dame que j’ai l’honneur d’appeler ma protectrice. »
« Il y a peu de gens que j’aime réellement, et encore moins dont je pense du bien. Plus je vois le monde, plus il me déçoit, et chaque jour confirme ce que je pense de l’inconséquence du genre humain et du peu de confiance qu’il faut accorder à ce qui ressemble à du mérite et à du bon sens. »
« Des souvenirs douloureux me reviennent, qui ne peuvent pas, qui ne doivent pas être chassés. En pratique, j’ai été égoïste toute ma vie, même si je ne l’ai pas été en théorie. Enfant, on m’a appris à corriger mon caractère. On m’a donné de bons principes, mais on m’a laissé les suivre en fonction de mon orgueil et de ma vanité […]. Et sans vous, je serais toujours aisé, ma très chère, mon adorable Elisabeth ! Que ne vous dois-je pas ! Vous m’avez donné une leçon qui, bien sûr, a d’abord été sévère, mais qui aura été des plus profitables. Grâce à vous, j’ai été, Dieu soit loué, conduit à plus d’humilité. Je suis venu vers vous sans douter un seul instant de l’accueil que vous me réserveriez, et vous m’avez montré que, malgré mes prétentions, j’étais incapable de plaire à une femme digne qu’on lui plût. »
Bio rapide et liens
Née en 1775 et décédée en 1817, Jane Austen fait partie des grands noms et, surtout, des grandes dames de la littérature anglaise.
Son oeuvre la plus célèbre est Orgueil et préjugés, roman où, comme souvent chez Austen, l’humour se mêle à la peinture des caractères. Austen apparaît alors comme la grande romancière de la condition féminine au début du XIXe siècle.