« Diabolique », c’est le premier mot qui me vient à l’esprit en fermant le livre de Strindberg. Cette pièce nous montre toute l’étendue de la soif de pouvoir d’une femme, Laura, sur son mari, Le Capitaine. En désaccord quant à l’éducation qu’ils souhaitent donner à leur fille, Bertha, les époux ne cessent de se disputer puisque Le Capitaine souhaite voir sa fille partir dans une pension en ville, projet que refuse Laura. Personnage féminin machiavélique, Laura décide d’ourdir un terrible plan pour que tout le monde croit que son mari est atteint de folie. Elle consulte dès lors le Docteur Oestermark pour l’en persuader. Auparavant, Laura a pris soin d’insuffler le doute dans l’esprit de son mari en lui rappelant qu’il est impossible pour un homme de savoir s’il est réellement le père de son enfant. Questionnant la paternité, qui définit tout l’être du Capitaine, qui vit littéralement pour sa fille, Laura touche là où la douleur est la plus aiguë. Le Capitaine se perd alors dans des questions sans vraies réponses et dont seule Laura détient la clé, prouvant par là sa supériorité de la femme sur l’homme.
C’est clairement ce doute quant à l’identité du père de Bertha qui mène Le Capitaine à sa propre perte. Il ira, par exemple, jusqu’à jeter une lampe en direction de Laura. Alors que la pièce commençait dans une atmosphère somme toute légère où les hommes riaient de l’emprise des femmes sur eux, elle se finit sous la forme d’un drame pathétique dans lequel Le Capitaine finit destiné à l’asile. Véritable guerre des sexes, Père nous révèle, par les conflits que l’œuvre met en place, jusqu’où la machination peut aller : même Margret, vieille nourrice du Capitaine, décide de participer à son enfermement à l’asile, en acceptant de lui passer la camisole de force. La mort du Père, qui clôt la pièce, montre la sordide victoire de Laura sur l’homme qu’elle a affaibli et sur lequel elle veut à tout prix montrer sa suprématie. Dans le constant jeu entre folie et lucidité dans lequel est pris le Capitaine se révèlent pourtant des vérités universelles et angoissantes, qui rendent le drame d’autant plus touchant : « Personne ne connaît ses propres origines. […] On ne sait jamais rien, il faut se contenter de croire. »
Quelques citations :
« Le Capitaine : Soyons brefs. Es-tu, oui ou non, le père de l’enfant ?
Nöjd : Comment le savoir ?
Le Capitaine : Hein, tu ne peux pas savoir ça ?
Nöjd : Non, ça, on ne peut jamais le savoir. »
« Le Pasteur : Oui, il y a trop de femmes qui commandent dans ta maison.
Le Capitaine : N’est-ce pas ? On se croirait dans une cage remplie de fauves. Et si je ne leur mettais pas de temps à autre le fer rouge sous le nez, elles me déchireraient toutes à belles dents. »
« Le Capitaine : Laura, épargne-moi, épargne ma raison ! Tu ne comprends absolument rien à ce que je dis. Si l’enfant n’est pas de moi, je n’ai aucun droit sur elle, et n’en veux aucun ; c’est bien ce que tu désires, n’est-ce pas ? A moins que tu ne veuilles encore davantage ? Veux-tu garder ton pouvoir sur l’enfant et ne me considérer que comme un père nourricier ?
Laura : Je veux le pouvoir, oui. Car enfin, de quoi s’agit-il dans cette lutte à mort, sinon précisément de pouvoir ? »
Bio rapide et liens :
Né en 1849 et mort en 1912, August Strindberg est un des plus grands écrivains suédois de la deuxième moitié du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle.
Comparé souvent au norvégien Ibsen, il est connu surtout pour ses pièces comme Mademoiselle Julie ou encore Le Pélican.